Voilà c’est fait, record battu. Du jamais vu toutes élections confondues.
Deux tiers du corps électoral n’est pas allé voter dimanche dernier. Il a considéré que le jeu n’en valait pas la chandelle.
Naturellement, les explications circonstancielles ont fusé : il faisait beau, les mesures de confinement venaient d’être levées, la documentation des candidates et candidats n’a pas été pleinement distribuée, il manquait des assesseurs pour ouvrir certains bureaux….. L’envie de voter ne pouvait y résister!
Décidément, les Français sont de grands enfants. Irresponsables. Le Premier Ministre a bien raison de leur faire les gros yeux!
Nous avons eu droit aussi aux explications politiciennes : le désintérêt pour une élection intermédiaire, la prime aux sortants, le retour des partis traditionnels ancrés dans les territoires, l’abandon de certains thèmes de l’offre politique pour apparaître plus rassembleur que clivant en vue de 2022,…. Les chroniqueurs et les politiques ont été là pour doctement analyser les causes et les effets, dans le meilleur des mondes possibles. Ils s’occupent de tout, dans un douillet entre soi. Sans que leur main ne tremble, déjà se négocient retraits, fusions de liste, et autres accords occultes, déjà s’élaborent tactiques et coups de main de campagne.
Tout à fait délectable.
Et tant pis si cela réduit encore l’offre politique proposée aux citoyens, ou achève de la rendre incompréhensible.
Tout cela est battu et rebattu médiatiquement à chaque élection, pendant deux ou trois semaines, en boucle, sans la moindre évolution. Car bien entendu, on ne fait rien pour changer, et on passera à autre chose.
Et à l’élection suivante, tout recommence, pareil. Sauf que l’électorat sera encore un peu plus désintéressé, la classe politique encore un peu plus autocentrée.
Et au milieu, dans un no man’s land désolé, la démocratie qui se meurt.
On pourrait y être indifférent, continuer la poursuite de nos objectifs individuels, tellement, tellement importants. Ce serait oublier un peu vite que la démocratie est notre système sociétal, un rempart chèrement acquis contre les totalitarismes. Et qui rend possible, justement, tous nos si chers projets individuels. Si nous ne la faisons pas vivre, les totalitarismes reviendront, et nos projets disparaîtront.
Alors, que faire ? Donner des pin’s aux votants ? Faire voter par internet ? Solliciter des influenceurs ?
Gadgets aux résultats douteux. Ils ne traitent pas le fond, ne changent rien au jeu de rôle installé : une caste dirigeante qui sait et qui gère, un électorat infantilisé.
Il faut se rappeler qu’en démocratie le peuple est souverain. Ce n’est pas un objet à manipuler, à conditionner, à acheter par des promesses à des segments communautaires savamment définis. C’est un maître auprès duquel les politiques, aux élections, viennent rendre compte, recueillir ses ordres pour la prochaine mandature, et proposer des politiques pour y répondre.
En retour, le corps électoral s’exprime sur les politiques proposées, et tranche.
Rien de tout cela ne se produit.
Jamais, jamais, jamais il n’y a, avant une élection, une expression formelle des besoins d’un corps électoral pour une mandature, appuyé sur un diagnostic partagé de la situation de la Commune, du Département, de la Région, de la Nation.
Les candidates et candidats se contentent de vagues déclarations ou de grands principes idéologiques, la main sur le cœur. Plus quelques piques tribuniciennes lors de débats contradictoires dans un brouhaha général, quand il y en a.
Lignes directrices, calendrier de réalisation, équilibre recettes dépenses, même sommaires ? Bilan des actions de la mandature par rapport aux engagements pris ? Oubliez.
Personne n’est tenu à rien, et se garde bien d’annoncer sur son prospectus électoral quoi que ce soit d’engageant. Comment il s’y prendrait, pour obtenir quels résultats, par exemple.
Et c’est sur cette « base » qu’on ose demander au corps électoral de se prononcer ? Qu’on ose lui reprocher de ne pas l’avoir fait? Mais hors militants fanatisés, à qui cela peut-il donner envie ?
Mais ce n’est pas fini.
Le corps électoral va donc se prononcer, au scrutin uninominal à deux tours. En quoi cela consiste-t-il ?
A indiquer deux fois un choix, à l’exclusion de tous les autres. Un « 1 », et c’est tout. L’information la plus pauvre imaginable. Une souris de laboratoire, au QI de moule, pourrait le faire.
Ce système est non seulement fruste, mais faux. Il conduit, malgré son apparente rigueur, à des choix non souhaités par l’électorat, et comporte des biais étonnants, comme le rôle du nombre de candidats; de nombreuses études de théorie des jeux, les résultats de nombreuses élections, le démontrent.
Comment se sentir écouté par un tel système, qui se contente de vous soutirer le minimum d’information, sur un seul candidat, pour trancher? N’aurions-nous donc rien à dire sur tous les autres qui se présentent? Aucune nuance à apporter dans notre vote ? Ne serait-ce pas nécessaire pour obtenir une expression électorale riche et de qualité, valorisant électeur et élu ?
A l’ère des flux multimédia généralisés, ce système de vote, c’est une émission télé en noir et blanc, diffusée sur un poste à 625 lignes !
Rien n’arrive ni surtout ne dure par hasard. Ce système désastreux sert sans doute à quelques-uns.
En tout cas, ni à la démocratie, ni aux citoyens.
Il faut donc changer tout cela, d’urgence. Sur trois points, très simples :
- Instituer un « cahier des charges de mandature », réalisé à partir d’études d’opinion et publié avant chaque élection, et auquel les candidats auront l’obligation de répondre dans leurs programmes.
- Instituer un « itinéraire de mandature », situant les grandes étapes du programme proposé, et ses masses financières, et rendre sa présence obligatoire dans la documentation électorale.
- Installer un scrutin à jugement majoritaire, qui permettra à l’électeur de s’exprimer exhaustivement sur les offres politiques présentées, évacuant biais et calculs politiciens.
Vous ne connaissez pas le scrutin à jugement majoritaire ?
Alors, je vous en prie, prenez 10 minutes.
10 minutes pour regarder cette vidéo de l’Ecole Polytechnique : elle explique de manière limpide ce qu’est ce scrutin. Vous verrez, vous ne ferez rien de plus utile aujourd’hui.
Scrutin à jugement majoritaire
Si nous arrivons à réaliser ces trois points, alors notre démocratie reprendra vigueur, et se remettra à nous rassembler… avant qu’il ne soit trop tard.
Daniel Rigaud