La seconde mort du sportsman
Rappelez-vous : après tout, ce n’est pas si loin cent ans. Ce n’est jamais que l’enfance de nos grands-parents, donc accessible par des récits, sans compter les archives des journaux, ou des radios déjà en plein développement.
En ce temps-là commençaient à se faire connaître des activités humaines un peu étranges, souvent d’origine anglo-saxonne, ceci expliquant peut-être cela.
Elles avaient comme noms soccer, football-rugby, lawn-tennis, yachting, cricket, polo,…. Et étaient pratiqués par des gens un peu curieux, un peu à la limite de ce qui ne se fait pas : les sportsmen.
Ces sportsmen étaient excentriques non seulement par la nature de leur activité physique, donc quelque part commune, ancillaire, mais aussi par leur tenue et leur style : glabres, cheveux peu coiffés, cols de chemise ouverts, bronzés, décontractés, d’allure libre… quelle audace !
Est-ce ce style, cette élégance souple, ce mode de vie qui ont fait leur popularité et les ont fait sortir de leur ghetto parfois un peu élitiste ?
En partie, certainement.
Mais ce qui les a popularisés vraiment, ce sont les valeurs qu’ils portaient et faisaient vivre par leur sport : le goût de l’effort, de la compétition, le respect de l’adversaire vainqueur ou vaincu, l’esprit d’équipe, le « fair play » …. Et ces valeurs les ont montés au pinacle, parce que ce sont des valeurs humaines universelles, correspondant à nos ressorts profonds.
Ceci étant, n’idéalisons pas : déjà à l’époque il existait des tricheurs et des mauvais perdants : mais enfin, le modèle était là, et chavirait les foules d’émotion qui déifiaient leurs héros
Mais ces idoles étaient trop belles, trop universelles pour ne pas attirer des convoitises. D’abord des nations, parfois des dictatures dogmatiques, cherchant à utiliser le sport pour renforcer l’unité nationale, ou conforter des théories raciales sinistres. Les Jeux olympiques basculent dans une compétition des nations, où on compte les médailles comme autant de pièces de monnaie, gommant sans considération de l’athlète l’histoire propre à chacune d’elle ; dans cette affaire, le sportsman universel, sans nation ni frontière, se fait enrôler, voit son sens de l’effort dévoyé vers la performance à tout prix, son succès devenir vanité d’une nation ou d’un club, et connaît sa première mort. Sa première privation d’éternité, et d’universalité
Mais une deuxième profanation est intervenue depuis trois ou quatre dizaines d’années. Le sport est devenu le nouveau champ de manœuvres de grands groupes de business, à coups de sponsoring, de rachat de clubs par des PDG qui n’ont pour seule légitimité la fortune leur permettant de le faire.
Hasard ou coïncidence, s’est précipité à leur suite le système média, doublement conditionné par l’urgence de communiquer en premier, et de communiquer tous les jours : avec ce fonctionnement, comment y aurait-il la place pour vivre des valeurs et de belles histoires humaines ? Place à la paillette, aux petites phrases, aux scandales, aux insultes même, y compris au sein des équipes censées être consensuelles… il y a un lien direct entre la main de Thierry Henry qui ne la dénonce pas, et le comportement insupportable de l’équipe de France de football en Afrique du Sud, c’est le même effacement moral, la même mainmise de l’intérêt financier sur l’esprit du sport.
Il y a quelques mois, le dernier bastion de la sportivité originelle a failli tomber : un Etat pétrolier sans histoire nationale et encore moins sportive, non seulement a organisé le championnat du monde de handball, mais a monté en plus une équipe de toutes pièces à coups de millions de dollars, l’a entraînée dans des conditions qu’aucune autre équipe en compétition ne pouvait reproduire.
Et cette équipe « hors sol », a failli être championne du monde…
Il y a quelques jours, l’équipe de France de rugby est à nouveau battue par l’équipe du Pays de Galles, après avoir annoncé après trois ans de médiocrité que l’audace serait enfin à l’honneur ; mais on a vu des joueurs empruntés, hésitants, tétanisés par le risque de mal faire, calculant visiblement comment réussir à la fois à rester dans l’équipe, jouer la Coupe du Monde cet été, ne pas se blesser et gagner des trophées avec son club, tout en développant son image dans les média…. Derrière le joueur, cherchez l’agent, ou l’argent…
Les mots de l’entraîneur Philippe Saint-André à cette occasion ont été durs, coupants : « Porter le maillot de l’Equipe de France, ça doit te sublimer… je n’ai pas besoin de starlettes, mais de champions… la seule star, ce doit être l’équipe » Ils font écho à ceux utilisés par l’entraîneur précédent, quelques années plutôt, Marc Lièvremont accusant ses joueurs « d’avoir une certaine forme de lâcheté » et un « comportement de sales gosses » après des défaites particulièrement déshonorantes en 2011
Pourtant ces joueurs sont talentueux, en pleine forme physique, bien payés, jouant dans le meilleur championnat de clubs d’Europe et peut-être du monde… que se passe-t-il ?
Tout simplement que leur comportement est rationnel par rapport à un système sport showbiz qu’ils ont parfaitement assimilé, où le but est de s’enrichir avant même d’être vainqueur, faire un plateau télé plutôt que gagner dans l’humilité, parler langue de bois plutôt que passion et générosité… Les joueurs n’y sont pour rien, un système les fabrique, les formate.
Et nous, dans tout cela ? continuerons-nous à laisser les choses aller, à nous résigner à ce que le sport ne soit qu’un « entertainment » de plus, obéissant aux mêmes règles de vacuité, de superficialité, de vanité et d’avidité que le show-business ?
Pourquoi nous laisser déposséder d’un trésor de valeurs, d’élégance et de fraternité que d’autres hommes ont créé dans le seul but de s’élever, et de nous élever, un petit peu, un tout petit peu en humanité ?
Il n’y a aucune fatalité à ce que ce mouvement nous submerge, aucune à ce que nous avalions jour après jour cette soupe avilissante. Aussi étonnant que cela paraisse, l’humanité et le sport avaient une existence avant l’ère de M. Murdoch.
Nous citoyens pouvons poser, dans ce domaine de notre vie comme dans bien d’autres, les règles qui nous conviennent pour retrouver un sport à valeur d’éducation et de dépassement de soi. Nous en avons le droit, et même le devoir pour les générations futures.
J’aime l’univers de ton blog 🙂
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Thank you so much, Ewannana!
Hope seeing you soon back on Conjecture 4.O
Daniel Rigaud