2. Comment, pas à pas, s’est installé le risque terroriste en France
Notre premier problème, c’est le déficit d’analyse historique chez nos politiques tous bords confondus, comme le montrait déjà l’article «5 idées pour sortir de notre démocratie en carton-pâte » de ce blog, que leurs paroles de ces dernières semaines viennent encore de confirmer.
Rien ne serait plus faux que de faire remonter nos ennuis aux printemps arabes, à la chute de Saddam, ou même à la guerre d’Afghanistan, qui n’ont été que des détonateurs.
Rien ne serait plus faux que de croire que des opérations militaires ou policières, si renforcées et utiles soient-elles, régleront le sujet.
Rien ne serait plus faux que de penser que notre modèle de société, nos manières de voir et de vivre, puissent rester identiques, juste en renforçant notre protection par plus de force publique. Nous avons à nous adapter, profondément, et vite, parce que le danger créé par la conjonction actuelle de circonstances inédites est mortel pour notre Nation, et que nous sommes en retard dans la compréhension et dans l’action.
C’est à une bonne cinquantaine d’années qu’il faut remonter dans notre histoire pour saisir l’ensemble de ces circonstances, dont aucune ne suffit à expliquer la vague d’attentats, mais dont le cumul rend inévitable leur déflagration. Certaines de ces circonstances sont anciennes, et leur gravité s’est peu à peu constituée ; d’autres sont récentes, ce qui les fait apparaître comme essentielles, parfois à tort.
Quelles sont ces circonstances inédites ?
- Une omerta chronique sur les politiques d’immigration et d’asile politique française
La France a souvent fait appel à l’immigration pour les besoins de son économie : Polonais, Italiens, Espagnols, Portugais, ont contribué tour à tour à l’industrialisation de la fin du 19e siècle, jusqu’à l’expansion des trente Glorieuses. Ces collaborations, en rien honteuses et plutôt gagnant-gagnant, n’ont jamais fait l’objet d’une politique explicite : pourquoi cet appel, quels sont les termes de l’échange entre la France et ces immigrés,….peut-être tout simplement parce que la proximité culturelle initiale entre Français et ces immigrés d’Europe n’en créait pas le besoin.
La décolonisation des années 50-60, notamment des pays d’Afrique et du Moyen Orient, les guerres et les dictatures qui s’en sont souvent suivi, ont créé un appel d’air vers la France, ancienne puissance coloniale idéalisée ; simultanément, de nombreux secteurs industriels français (bâtiment, construction automobile, …) avaient besoin de bras bon marché et ont poussé les gouvernements à mener une politique active dans ce domaine.
Et on a fait comme d’habitude, dans l’implicite et le non-dit, dans un laisser-faire sociologique complet.
Et ce faisant, on a ignoré une donnée essentielle : le substrat culturel et sociétal des populations africaines et maghrébines est fondamentalement différent du nôtre. Ce n’est ni un jugement de valeur, ni un problème en soi; il faut juste savoir ce qu’on veut en faire.
Et ce fait rend critique le besoin d’expression et de contractualisation des termes de l’échange entre la Nation française et ces populations d’immigration, explicitation qui ne viendra jamais, et ouvrira la porte, par défaut, par carence, par bien-pensance aussi, à une défiance nationale diffuse d’un côté, à certains comportements communautaristes de l’autre.
Côté politique du droit d’asile, la situation n’est pas meilleure, quoique différente.
D’abord numériquement : entre 10 et 20 000 réfugiés acceptés, contre 200 000 immigrés supplémentaires par an, l’asile politique apparaît comme un phénomène marginal, même si on peut penser que ces chiffres sous-estiment un peu son ampleur, une partie des demandeurs non agréés n’étant pas reconduite aux frontières.
Et jusqu’à présent, l’immigration syro-irakienne actuelle n’a pas bouleversé ces chiffres, si on s’en tient aux statistiques officielles.
Cependant, la définition du réfugié, en application de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, et figurant dans la convention de Genève du 28 juillet 1951, ouvre grand la porte à la possibilité d’arrivées massives de populations civiles victimes de guerre :
Le réfugié est « toute personne (…) qui (…) craignant avec raison d’être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays… »
Il y a aujourd’hui près de 3 millions de réfugiés syriens en Turquie. Que ferons-nous si un mouvement vraiment massif de ces réfugiés vient à se produire vers l’Europe et la France ? Accepterons-nous ce choc démographique et civilisationnel ni demandé ni préparé, conséquence de conflits qui ne sont pas les nôtres ? Ou, avec mauvaise conscience, tordrons-nous le bras aux principes que nous nous sommes donnés à nous-mêmes, faute d’avoir imaginé leurs possibles conséquences ?
D’ailleurs, devons-nous accepter comme allant de soi ce comportement de fuite de la part d’hommes responsables, menacés dans leurs biens, violés dans leurs libertés fondamentales, leurs croyances, leur vie de famille, et qui ne se battent pas pour elles ? Avons-nous à assurer tout cela mieux qu’eux, alors qu’ils ne le font pas eux-mêmes ?
Que nous les aidions à protéger le temps nécessaire leurs femmes, leurs enfants, leurs seniors : bien entendu ! A condition qu’ils choisissent, plutôt que le camp d’accueil, le camp de leurs convictions, s’arment, se forment militairement et retournent dans leurs pays combattre leurs ennemis fondamentalistes, et gagner leur guerre, s’il se peut.
- La constitution graduelle en France d’une masse de population de culture musulmane, trop laissée à elle-même
Les émigrés d’Afrique du Nord et Subsaharienne n’ont pas fait l’objet, nous l’avons dit, d’une attention particulière qui aurait été nécessaire compte tenu de l’écart des modèles culturels; cela n’a pas empêché de brillantes réussites d’intégration dans le tissu national, et de réels apports dans la dynamique et le rayonnement français. L’immense majorité des musulmans vit en paix leur religion en France, dans le cadre de nos institutions.
Mais sur le fond, et en dépit des apparences, l’ancrage est instable : les comportements et schémas anciens perdurent, l’amour charnel de la France n’est pas là pour adoucir les impatiences, traiter les frustrations dues aux micro-rejets culturels. La radicalisation religieuse n’est alors pas loin, soleil noir se référant au mythe de la patrie et de la religion ancestrales, comme moyen d’affirmation de soi et de défense identitaire.
Et le plus dangereux dans tout cela, c’est que cette radicalisation peut se produire à tout moment, en quelques jours, chez des citoyens apparemment sans histoire, ôtant à la force publique tout espoir de détection et de prévention.
- L’institutionnalisation de l’islam, religion de gouvernement exogène à notre identité
Dans son Histoire, la France a payé cher pour établir son modèle de paix civile, basé sur le laïcat de l’Etat, et la liberté de conscience individuelle : deux siècles de luttes et de massacres plus ou moins intenses pour raisons religieuses, de la nuit de la Saint Barthélémy aux dragonnades de Louis XIV ; deux autres pour aboutir en 1905 à la séparation définitive de la religion et de l’Etat. Ce chemin long et sanglant, personne ne veut le recommencer. Ce résultat d’équilibre par la laïcité, une religion nouvelle venue doit, pour être acceptée, le considérer comme intangible.
Avec ce parcours et cet aboutissement, l’islam, religion importée depuis quelques dizaines d’années à peine par l’immigration post-coloniale, pose un problème de fond : dans son essence, il vise non seulement à intervenir sur le plan spirituel, mais aussi à régir la vie quotidienne personnelle et collective de ses fidèles : justice, mœurs (habillement, nourriture, séparation hommes-femmes, heures de travail et de prière, ….) et à exercer le pouvoir politique pour imposer ces pratiques. Au quotidien, des pressions s’exercent actuellement dans les communes, les entreprises, les commerces, les écoles, pour imposer des spécificités de comportement, au détriment des libertés citoyennes.
Depuis une quinzaine d’années, les gouvernements ont cherché à faire exister en France une institution islamique unique, dans l’idée d’avoir à leur disposition un interlocuteur identifié et responsable, tout en multipliant des manifestations de déférence aux autres religions présentes en France.
Cette posture, à motivation souvent électoraliste, est une erreur de fond.
La religion, comme l’athéisme, est en France une affaire de conscience individuelle, et cette liberté de croyance doit être garantie par l’Etat, pour toutes les religions, et à tous ses citoyens.
Pour le reste, l’Etat doit laisser chaque religion s’organiser comme elle le souhaite, en s’assurant toutefois que ses dogmes sont conformes aux lois et valeurs de la République, et que ses financements proviennent exclusivement de ses fidèles.
Ce qui est vrai pour l’Etat est vrai pour les collectivités locales, dont aucun euro d’argent public ne doit venir contribuer, de près ou de loin, au prosélytisme religieux.
Et un Président de la République ne se rend ni aux invitations du CRIF, ni du CFCM, ni de la Conférence des Evêques,… mais convoque (lui, ou le Premier Ministre, ou le Ministre de l’Intérieur) ces représentants religieux, s’il le juge utile.
La République n’a pas à venir s’expliquer devant un culte, quel qu’il soit.
L’Islam quant à lui, parce que son contenu, et sa situation culturelle et historique sont atypiques dans notre contexte national, doit accepter explicitement et publiquement de s’adapter aux règles de la Nation, et renoncer définitivement à vouloir influencer la sphère publique au nom de motifs religieux.
Parce qu’en France, hormis les droits supérieurs de l’humanité, il ne se trouve rien au-dessus de la volonté du peuple exprimée par ses lois, assurant l’harmonie des libertés individuelles dans la paix civile.
- La banalisation de la violence virtuelle
Comme la religion se développe par la pratique de gestes pieux, donner la mort peut devenir un acte banal, facile, et allant de soi, par la pratique graduelle des gestes correspondants : un adolescent peu structuré passera sans rupture des wargames où il abat pendant des heures à l’arme de guerre des ennemis virtuels, au petit caïdat dans des trafics de drogue, puis aux premiers délits à main armée et aux premières victimes réelles, pour terminer par une tuerie terroriste. Il suffira d’un peu plus d’exaltation, de la promesse d’un Paradis des croyants, pour passer à l’acte.
- La proximité numérique créée par internet
C’est une des retombées inattendues des nouvelles technologies : la distance physique entre les cultures est abolie, leurs propagandistes peuvent aller toucher des jeunes peu avertis, argumentant avec les codes adaptés (musique, images, mais aussi bons sentiments, promesse d’aventure et de beaux selfies) sans contradiction possible de la part d’éducateurs, qu’ils soient parents ou enseignants, parce qu’ils ne se doutent de rien.
- L’affaiblissement collectif du sentiment national
Depuis trop longtemps, le main stream de la pensée est que l’avenir de l’homme est dans la mondialisation, c’est-à-dire l’uniformisation du cadre de vie, l’adoption d’une langue dominante, l’oubli de l’Histoire et de la culture marchandisées, pour la paix et la prospérité générale.
Dans tout cela, une fierté de Nation n’a pas sa place, et a été ringardisée, mise en accusation, déformée, et réduite peu ou prou dans son expression, aux manifestations sportives.
Or, la Nation offre un outil incroyable d’efficacité pour intégrer à la collectivité une population nouvellement immigrée : nourritures culturelles de toutes natures, récits d’actes de courage ou d’humanité, paysages à couper le souffle, majesté et élégance des monuments, audaces technologiques, …. Tout peut concourir à construire, rapprocher, souder des personnes au passé différent, mais au futur commun.
L’esprit de Nation, par nature, ne conduit ni au conflit, ni au repli sur soi. Etre fort sur ses bases permet au contraire d’aller vers l’autre sans crainte, avec confiance et ouverture.
- L’incohérence de la politique étrangère française au Moyen Orient
Dans cette région compliquée et violente, un seul dirigeant français a fait un jour l’unanimité admirative sur son nom : hauteur de vue, indépendance de la pensée, connaissance profonde de l’Histoire, vigueur de l’expression. Avec de Gaulle, la France n’a jamais été aussi elle-même, jamais autant écoutée.
Nos deux derniers Présidents, le précédent et celui en exercice, ont cru nécessaire à leur popularité, de chercher à additionner les gains sur plusieurs tableaux : les Droits de l’Homme, les affaires, les alliances-allégeances à l’Europe ou aux Etats-Unis.
Résultat : une politique devenue illisible, des gains illusoires ou sans lendemain, donnant un sentiment pénible d’inconsistance, d’impuissance, ou pire de duplicité. Tout pour ne pas se faire respecter, et donner à croire à un Daech qu’il peut frapper un ennemi à la tête aussi faible.
- Le niveau du stock d’armes illicites, y compris de guerre, en France
Combien d’armes de guerre détenues illicitement par des civils en France actuellement ? C’est impossible à dire précisément, mais les ordres de grandeur effraient : 10 millions d’armes en circulation, dont 4 millions répertoriées ; parmi ces 10 millions, environ 4 000 armes de guerre, en forte augmentation depuis la chute du bloc de l’Est, et la guerre des Balkans ; sur internet, une kalachnikov vaut un demi smartphone : 250€.
Dans ces conditions, un contrôle aux frontières des trafics illicites d’armes ne préoccupe plus un djihadiste : l’arsenal est déjà sur place.
- L’incapacité de l’UE à maîtriser ses frontières
Les accords de Schengen, reportant les contrôles douaniers aux pays européens frontaliers pour permettre la libre circulation des personnes et des biens en Europe, ont été signés avec une impréparation qui laisse pantois : à aucun moment, les moyens n’ont été définis, dimensionnés, budgétés et mis en œuvre pour assurer à l’Europe un niveau de sécurité équivalent ou supérieur à celui que possédait chaque Etat membre individuellement.
Cette situation a certainement été une impéritie financière et commerciale d’ampleur à ce jour inconnue. Mais les vagues de réfugiés irakiens et syriens font de ce dysfonctionnement un scandale d’Etat, sur les plans humanitaire et de sécurité intérieure.
La facilité d’entrée et de circulation des terroristes des attentats de Paris et de Bruxelles, révélée par les enquêtes, donne froid dans le dos.
- Une inadaptation de notre référentiel de valeurs et de notre droit à cette conflictualité
Ce sujet important a été traité dans l’article «La déclaration des Droits de l’Homme : universelle, vraiment ?» de ce blog. Nous ne pouvons nous contenter d’appliquer sans discernement des principes généreux et idéalistes (la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme), avec des ennemis qui les rejettent totalement, et s’en servent pour nous détruire. Par ailleurs, leurs auteurs ne pouvaient imaginer au 18e siècle l’état du monde que nous connaissons, où des centaines de milliers de personnes se présentent à nos frontières en quelques mois, où un endoctrinement touche des millions de personnes instantanément et sans barrières, où des fous de Dieu au regard vide perdent leurs vies en riant pour tuer des innocents qu’ils ne connaissent pas.
Pour résumer et hiérarchiser, le schéma suivant situe l’importance relative de chaque cause dans cette situation de péril terroriste, et de l’investissement à consentir pour la traiter :
On ne fera pas disparaître toutes ces causes, même avec beaucoup de moyens. Mais il faut, par un plan d’ensemble, les réduire jusqu’à ce que le risque terroriste redevienne ce qu’il n’aurait jamais dû cesser d’être : négligeable, et durablement.
Daniel Rigaud
Prochain article de cette série: « Comment annihiler les causes du terrorisme en France »