1. Attentats : La fin d’une trop longue anesthésie démocratique et politique ?
Evènement après événement, se confirment les désolantes lignes de force qui sous-tendent les relations des dirigeants politiques avec leurs peuples, très largement en Europe et dans le monde, mais plus particulièrement en France.
Parce que les règles du jeu y incitent, la préoccupation première des politiques est de faire carrière, durer dans les mandats qui leur sont confiés, élection après élection ; pour cela, ils agissent sur deux axes : dominer le plus possible les féroces jeux d’appareil des partis, minimiser le risque potentiel du rejet citoyen de fin de mandat.
Pour réussir sur le premier axe, il faut s’économiser sur le second : et la clé, c’est d’avoir des électeurs citoyens peu concernés, distraits de l’essentiel, impressionnables par la mise en scène d’événements ou d’actions à impact émotionnel : repas de Noël pour les anciens, ronds-points fleuris, feux d’artifices. Et pour les 5% les plus intellectuels des électeurs, un discours maximaliste sur les droits de l’homme, le vivre ensemble et la protection des plus faibles. En un mot, par l’anecdotique et l’onirique, tous deux économes des moyens de l’élu, infantiliser pour mieux manipuler.
Les peuples de leur côté se laissent envelopper dans cette ouate, au niveau local comme national : un peu plus d’assistance, un peu plus de cadeaux catégoriels, un peu plus de loisirs, toujours moins de questions existentielles, n’est-ce pas là la mélodie même du bonheur, même si on en adresse la facture aux générations futures, comme nous le faisons?
Ainsi dissociés et associés à la fois dans ce pacte étrange, chacun de ces deux mondes vit heureux : David Cameron quitte en chantonnant et en faisant de l’humour son poste de Premier Ministre, laissant son pays face aux conséquences de la décision la plus lourde de son histoire moderne ; G.W. Bush, ex-Président des Etats-Unis, en présence de B. Obama esquisse des pas de danse à la tribune officielle se recueillant devant la mort de policiers abattus ; et notre Président, lui, poursuit dans Paris, sans escorte officielle, ses bonheurs privés en scooter.
Et quant à eux, les Français se disent à 75% heureux de mâchonner leurs petits bonheurs privés, qui n’ont pas besoin d’être grands du moment qu’ils progressent un petit peu de temps en temps : une nouvelle génération d’I-Phone par-ci, une petite fête de la musique par-là.
Seulement voilà : le jeu ne se joue pas à deux. Il existe dans le monde d’autres groupes humains régis par d’autres valeurs et lois sociales, qui nous haïssent parce que nous voulons, avec bonne conscience mais à tort, leur imposer les nôtres : les Droits de l’Homme sont Universels, n’est-ce pas ?
Certains de ces systèmes sociaux, religieusement totalitaires, visent notre destruction non pas physique, mais psychique et morale, et commettent pour cela, avec intelligence et détermination, des attentats visant à sidérer, effrayer, diviser, nous faire réagir en contradiction avec nos valeurs. Nous ne sommes pas attaqués dans nos forces vives, mais sur nos plans et sur notre ADN de Nation, dans une version salafiste de la pensée de Sun Tsu :
« Le mieux, à la guerre, consiste à attaquer les plans de l’ennemi ;
ensuite ses alliances ; ensuite ses troupes ; en dernier ses villes. »
Voilà alors le pacte rompu, le cocon douillet transpercé : le peuple pleure comme devant l’épisode le plus émouvant d’une série télé, et ressort ses bougies. Les politiques, interpellés, pleurent à l’unisson, mais en plus officiel.
Et ils répondent dans leur registre habituel : plus de protection pour la posture, plus de menaces et de bombardements contre l’ennemi, pour la communication.
Avec une mise en scène adéquate, ce raccommodage-là du pacte marche une fois, deux fois.
A la troisième fois, les peuples, qui ont du bon sens et de l’instinct, grondent et huent leurs dirigeants, demandent des comptes et retirent leur confiance, parce qu’ils se sentent leurrés. Et songent à se défendre par eux-mêmes.
C’est grave: dénier aux institutions ce rôle de protection est le début du délitement social, individuel ou communautaire.
Mais c’est aussi, si on sait comprendre et vouloir collectivement, une chance historique de reprendre en main notre destin.
Une chance historique de ne pas pleurer en impuissance consentie, comme l’émir Boabdil à la chute de Grenade. De serrer notre poigne sur notre démocratie, notre art de vivre qu’on veut nous arracher.
Comme citoyen, je n’ai pas envie de voir nos forces de l’ordre en larmes parce qu’un des leurs est tombé.
Comme électeur, je ne veux pas voir des politiques se bousculer pour parler les premiers devant les médias, sur les trottoirs encore tièdes de sang, et pointer des index accusateurs par petit calcul politicien.
Comme être humain, je ne veux pas entendre des médias nous soûlant sans pudeur ni dessein des détails de la vie médiocre d’un gueux assassin, pour faire de l’audience : même l’Etat Islamique n’en demande pas tant!
Le peuple français n’attend plus de ses dirigeants de la ouate compassionnelle, mais de la clairvoyance, de la pédagogie, et de la détermination d’Etat.
Et notre pays mérite des analyses, des politiques, des plans appliqués avec détermination. D’abord.
Daniel Rigaud
Prochain article de cette série: « Comment, pas à pas, s’est installé le risque terroriste en France »