Installer la « démocratie systémique » en France : mode opératoire 2019-2032
Le Grand Débat est terminé, les restitutions sont en cours, des mesures seront annoncées sous quelques jours par le Président.
Ces mesures seront insuffisantes. Non parce que le gouvernement ignore, ou se trompe sur ce qu’il y a à faire. Mais parce qu’une fois de plus, et comme ses prédécesseurs, il va chercher à calmer l’agitation au moindre risque politique, au moindre coût budgétaire, pour maintenir encore un peu le système sociétal actuel, à grands coups de com’ médiatique.
Il est symptomatique que pas un mot n’évoque l’optimisation de l’appareil de l’Etat comme levier (éventuel !) de réduction de la charge fiscale, malgré les tonnes de rapports de la Cour des Comptes sur ce sujet depuis des dizaines d’années.
Une fois de plus, on va proposer des « pouillèmes » de réduction de charges, dire « n’en pouvoir mais » compte tenu des besoins en personnel de santé, de police, de Défense,…. mis en avant, et noyer in fine le sujet sous une pluie de mesurettes et contre-mesurettes source de débats sans fin avec l’opposition, qui victimisera telle ou telle catégorie.
Il est aussi symptomatique, que le Président se raidisse sur la « suppression de l’ISF », alors qu’il aurait suffi de le réformer sans changer son nom, évitant ainsi d’en faire un totem de lutte des classes, le scalp de l’ennemi, toute rationalité économique oubliée.
L’enjeu n’est pas là. L’enjeu, c’est l’ensemble du modèle social français, qui dysfonctionne dans quatre domaines : la vision stratégique qui est absente, le budget de l’Etat qui est déséquilibré et endette nos enfants, la démocratie qui est devenue factice, l’assistanat qui tue les ambitions et les initiatives.
Et le mouvement gilets jaunes, son soutien dans l’opinion, nous lancent un message : ce modèle verrouillé, profitant à une classe dirigeante encapsulée dans la mondialisation, oublieuse de l’intérêt général de son pays, est à bout. Usé, râpé, exposant au grand jour la trame de ses égoïsmes.
Et qu’il faut le changer radicalement. Ou plus exactement, le régénérer. Installer la « démocratie systémique » décrite dans l’article : « Régénérer nos démocraties : en quoi ? »
Nous pouvons avoir une vision stratégique nationale claire, comprise et partagée. Ça n’aurait rien d’extraordinaire, au pays de Montesquieu, Tocqueville, Richelieu, Colbert, Carnot, Condorcet, Napoléon, de Gaulle et bien d’autres. Mieux : l’Europe, le monde, n’attendent que cela.
Nous pouvons avoir une administration et des services de l’Etat qui délivrent les mêmes prestations, voire meilleures, avec 20% de budget de moins. Bien de nos voisins européens y parviennent, ce n’est pas une cascade.
Nous pouvons avoir une vraie démocratie, effective et répartie, à tous les échelons du territoire. Les principes existent, les outils sont là, la maturité citoyenne aussi.
Nous pouvons avoir une société debout, forte, humaine, et solidaire sans pathétisme, révélant tous les talents, aux choix de vie de société explicités, approuvés et respectés.
Alors que nous manque-t-il ?
Sans doute un mode opératoire de cette transformation de notre démocratie. Un plan concret, loin des postures racoleuses et des promesses inapplicables.
Oh, on n’a pas manqué dans le passé de nous proposer des tas de « solutions » miracle. Mais pas un seul mode opératoire crédible.
Premier « hic » : aucune mesure ne se donnait la peine d’aller au bout du problème, se contentant de traiter au premier degré le symptôme, à l’endroit où il se produit, … et sur le papier. L’applicabilité est à peine étudiée, son efficience dans le temps pratiquement jamais établie. La manie française de créer un impôt, une taxe chargeant commodément la collectivité toute entière de régler un problème catégoriel ou territorial, en est la permanente illustration.
Deuxième hic : l’absence de vision systémique. Toute solution mise en place va faire réagir l’environnement, parfois violemment ; si cette réaction n’est ni anticipée, ni prise en compte dans la solution, l’échec est garanti.
D’où le fait qu’il est devenu bien préférable pour la classe politique, les élus de toute nature, de mimer un changement plutôt que de s’y atteler, pour éviter de rejoindre la cohorte aigrie des réformateurs déconfits.
Alors, comment peut-on espérer réussir un changement radical, une réelle reconfiguration sociétale?
Serait-ce par un long processus tortueux, secret et manipulatoire, ponctué d’actions assassines d’hommes de l’ombre ?
Par un processus de déstabilisation insurrectionnelle violente, débouchant sur un Grand Soir wagnérien, comme l’espèrent les black blocks ?
Certainement pas.
Pour la simple et bonne raison qu’il ne s’agit pas là d’abattre les murs structurellement toxiques d’une dictature, mais de réinvestir, étage par étage, l’édifice sain de notre démocratie, indûment confisqué par quelques-uns.
Parce qu’aussi, il faut dès le premier jour, lever l’appui populaire, qui ne demande qu’à s’investir. Et que pour cela il faut agir au grand jour, associer, associer sans relâche, avec des motivations et des pratiques qui font consensus, parce qu’elles sont d’emblée compatibles avec notre culture nationale.
Parce qu’aussi il faut faire penser grand la France. Lever en elle ce grand frisson émotionnel qui a jalonné son Histoire, donné l’énergie de renverser des montagnes, et fait partie de son ADN.
« Ils » disent que la France est une démocratie ? On va les prendre au mot. « Ils » n’imaginent pas à quel point.
Ce parti pris interne a aussi un immense avantage externe : prendre magistralement à contrepied cet appareil européen de juristes technocrates qui nous contraint de plus en plus.
A tort ou à raison, il ne cesse d’être invoqué par nos politiques comme une autorisation à demander, ou une raison de renoncer, au nom des traités qui ont peu à peu défini cette gouvernance dépossédant les Nations.
Dans ce qui va suivre, l’alibi européen tombera d’un seul coup.
Car aucun des clercs concepteurs de ces traités européens ne pouvait imaginer qu’un jour, un Etat membre entrerait en situation « insurrectionnelle démocratique », qui plus est pacifique, et serait temporairement sans gouvernement institutionnel !
A qui alors adresser remontrances et sanctions ? Quelles troupes envoyer pour « mater des rebelles » qui ne veulent (pacifiquement) que la démocratie, celle-là même « sacralisée » par l’Union Européenne ? Comment trouver un consensus à 25 ou 26 sur les mesures à appliquer, dans un cas aussi imprévu, à un membre, fondateur de surcroît, tel que la France ?
A l’évidence, l’Union Européenne, interdite, irrésolue par nature, déboussolée par la situation, dépourvue de procédure applicable, resterait passive. Toutes les nations européennes, retenant leur souffle, nous regarderaient, entre stupéfaction et admiration, comme souvent lorsque la France s’élève au-dessus d’elle-même.
Ces principes étant posés, passons aux actions, présentées ici à titre de canevas de travail.
Elles s’articulent en quatre phases, de 2019 à 2032 :
- installer et rendre incontournable l’exigence de transformation électorale
- choisir autrement la représentation nationale et le Président
- alléger l’Etat, opérationnaliser la stratégie de la Nation
- conduire la stratégie de la Nation, ajuster le système de démocratie systémique
- 2019-2020 : installer et rendre incontournable l’exigence de transformation électorale
C’est le premier étage d’une démocratie : comment le peuple choisit celles et ceux quivont le représenter pour traiter les affaires de la Cité. C’est par là qu’il faut commencer à assainir.
Les systèmes électoraux en place sont aujourd’hui pervertis, détournés au profit de centres occultes de pouvoir. C’est particulièrement vrai des élections européennes qui se présentent (quel citoyen peut croire à l’efficacité de son vote pour installer l’Europe qu’il souhaite?), mais aussi des municipales et des législatives, mais aussi de la Présidentielle, caricaturale en 2017.
Pour rénover ce dispositif essentiel de la démocratie, il serait vain de compter sur la classe politique en place : elle en est issue, elle le gère, elle le préserve. Il est même possible qu’on l’en récompense. Nous ne pouvons compter que sur nous, citoyens.
Nous avons deux leviers à notre disposition : exprimer collectivement ce que nous voulons en matière de système électoral, utiliser la masse de notre suffrage pour l’imposer.
Cela passe par :
- Etablir ce projet de nouveau code électoral (avril 2019), sur la base proposée dans mon article précédent,
- Lancer une pétition nationale pour l’appuyer, visant d’atteindre, pour sa charge symbolique, les seuils requis pour un référendum d’initiative partagée (6,5 millions de signatures), demandant aux groupes parlementaires de déposer un projet de loi correspondant (mai 2019)
- Devant un refus probable, boycotter massivement l’élection européenne. Viser une non-participation record, de 80% a minima. Organiser des manifestations silencieuses devant tous les bureaux de vote. Boycotter les émissions politiques sur les média. (mai 2019)
- Lancer un mouvement de labellisation des listes candidates aux municipales, s’engageant à utiliser les outils du nouveau code électoral : expression des besoins, forme des programmes, engagement de résultats, …. (juin 2019-mars 2020)
- Boycotter les listes non labellisées, voire toute l’élection dans les communes où aucune liste ne le serait (mars 2020)
- 2020-2022 : choisir autrement la représentation nationale et le Président
La « démocratie systémique » comprend aussi le niveau suprême, l’élection Présidentielle. Son évolution a déjà été décrite dans l’article précédent : « Régénérer nos démocraties : en quoi ? »
Concrètement, les opérations à conduire seraient :
- Poursuite des signatures de la pétition, insistant particulièrement auprès des partis et des parlementaires, multiplier les blocages citoyens,… jusqu’à la dissolution de l’Assemblée (mars 2020-décembre 2020)
- Election d’une nouvelle Assemblée, avec toujours cette labellisation des candidatures ; vote de la nouvelle loi électorale conforme au projet de nouveau code, et modification correspondante des modalités de l’élection Présidentielle, dont le mandat sera porté à 10 ans (2021)
- Préparation des candidatures et des projets stratégiques correspondants, élection présidentielle selon les nouvelles règles, achevant la transformation du système politique dans son ensemble, de bas en haut (2021-2022)
- 2022-2024 : alléger l’Etat, opérationnaliser la stratégie de la Nation
Les priorités du nouvel exécutif seront simples : alléger le coût de fonctionnement de l’Etat, pour récupérer des marges de manœuvre financières significatives, mais en en faisant une cause nationale et sociale ; construire le dispositif de mise en place du projet stratégique de la Nation.
Cela passe par :
- A partir du projet stratégique du Président élu, définissant entre autres le rôle de l’Etat et le pourtour de l’action publique, construction du dispositif d’allègement de l’Etat, en deux parties (2022) :
- la partie interne : nouveaux fonctionnements, nouveaux effectifs, mise en place, identification des excédents d’effectifs,
- la partie externe : prise en charge des effectifs rendus disponibles par le tissu économique du bassin d’emploi, sous le pilotage des organisations professionnelles et de Pôle Emploi : formations aux nouveaux métiers, tutorat, …
- Mise en œuvre de ce dispositif, sur 2 ans maximum (2023-2024), pour rendre effective la réduction-cible de 20% des moyens de l’Etat
- Opérationnalisation du projet stratégique de la Nation : politique de partenariats internationaux, définition détaillée du système de démocratie répartie, développement des domaines d’excellence technologiques ou non, du modèle social et de santé, d’équipement territorial,… reprise en politiques et plans de territoires (2023-2024)
- 2024-2032 : conduire la stratégie de la Nation, ajuster le système de démocratie systémique
C’est la phase de montée en puissance, à la fois du projet stratégique et de la « démocratie systémique », et qui doit être pilotée de près. Elle consistera à :
- Appliquer les choix stratégiques, mettre en place les systèmes de mesure des résultats des mesures appliquées en vue du bilan de mandat présidentiel (2024-2027)
- Procéder au bilan de mi-mandat, et à la nouvelle élection législative (2027)
- Continuer ou amender le projet stratégique, selon les résultats (2027-2032)
- Faire fonctionner et évaluer les modalités de la démocratie répartie, les modifier selon les besoins (2027-2032)
Voilà les grandes lignes. Elles sont bien entendu encore à compléter, préciser, amender.
Demain, ce mode opératoire peut se mettre en route. Avec vous.
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A très bientôt !
Daniel Rigaud