Donc c’est dit, le grand sujet c’est mondialiser notre communauté humaine. Si, si.
On ose à peine demander pourquoi, tant cette question vous fait passer pour un indécrottable passéiste. Mais la fin des conflits, monsieur, la prospérité générale voyons, la cross-fertilisation fraternelle des cultures et le sauvetage écologique de la planète !
Sur le simple plan de la dynamique de notre espèce, on pourrait pourtant légitimement s’interroger sur la capacité d’invention et de progrès d’un genre humain ainsi mixé; à ce sujet, il me revient ce passage d’Astérix Légionnaire :
Avec la suite que l’on connaît….
Mais admettons.
La question qui vient juste après, c’est : quelle mondialisation ?
Il y a celle du monde anglo-saxon, et sa pour l’instant pâle réplique européenne : une mondialisation dominée, façonnée par l’économie et la finance, sous tutelle d’indicateurs de performance quantitative, utilisant de plus en plus une gestion exponentielle des données pour établir un pseudo-lien qualitatif entre individus, tout en normalisant progressivement leur espace mental,
Il y a celle du monde asiatique, collectivisé à l’extrême au détriment de la santé et du développement de l’individu, et même de sa vie, qui n’est rien. Allez respirer à Pékin ou à New-Delhi, pour voir.
Il y a celle de l’islam, religion totalitaire qui revendique régir tous les espaces sans exception : conscience individuelle, politique, société,.. de la planète. Voyez le harcèlement islamique à l’oeuvre en France, contre la République.
Il y a celle de l’Afrique, que l’on ne voit pas encore nettement se dessiner, mais dont la démographie en fera à coup sûr, tôt ou tard, une candidate éligible.
Pour au moins les trois premiers, la mondialisation est une compétition à gagner, une domination à imposer. Par tous les moyens.
Alors, devant cette diversité potentiellement conflictuelle de modèles, on fait quoi ?
Le présupposé qui semble dominer pour la mise en œuvre, c’est qu’en rapprochant ces différents projets potentiels d’humanité, ils vont spontanément s’approprier le meilleur des autres, comme des pièces de puzzle ayant toujours rêvé en secret de faire ensemble le château de Chambord ; comme si toutes les cultures humaines ne s’étaient développées dans leur coin que pour un jour, comme par magie, s’emboîter.
La coaptation civilisationnelle, quoi.
Compte tenu que ça n’a jamais été fait, le pari est osé. Je ne parle pas là de rencontres entre artistes ou érudits, mais d’échanges culturels de masse, touchant au fond des coutumes et comportements des populations. On pourrait même dire que dans l’Histoire de l’humanité, ces échanges culturels-là se sont surtout faits à grands coups d’épée sur le casque. Comme les échanges confessionnels d’ailleurs, voyez le Moyen Orient en ce moment.
Mais il y a autre chose.
Pour poursuivre dans la métaphore culinaire, faire un bon plat commence par avoir de bons produits.
Et si l’on regarde le nôtre, la mondialisation version occidentale, qu’observons-nous ?
Le principal levier de rapprochement utilisé, c’est une gigantesque mise en commun des données personnelles de (potentiellement) chaque humain : qui nous sommes, où nous habitons, comment nous joindre, quelles sont nos envies,…. Cette masse de données permet d’élaborer et d’offrir des produits et services universels, devenant progressivement des référents, et demain des normes.
Ces données ne sortent pas de nulle part ; comme leur nom l’indique, nous les avons données contre l’usage d’outils mis « gratuitement » par internet à notre disposition : sites d’achat, applications de smartphone, jeux, musique, informations…. Deal !
Oui, deal. Sauf que l’image n’est pas complète, comme nous le montre le bien intéressant exemple d’Uber ces derniers jours, et que nous ferions bien d’ouvrir plus grand les yeux sur ce que nous sommes en train de construire.
Uber est emblématique à bien des égards de la nouvelle économie mondialisée : explosion du vieux modèle d’une activité de transport a priori non délocalisable, auto-entreprenariat exaltant pour les nouveaux chauffeurs anciens chômeurs, avantages de prix et de service pour les clients, …. Tout pour créer l’enthousiasme des clients, chauffeurs et investisseurs !
Passons sur le fait que ce miracle économique vient en partie d’inégalités de conditions fiscales et sociales, et que les investisseurs commencent à s’impatienter.
Regardons plutôt le comportement de ses dirigeants devant le dernier piratage de nos données, par des hackers du darknet.
C‘est entendu, Uber n’est pas responsable de l’existence du darknet, ce néo-paradis de convicts ; il est même probablement illusoire d’espérer qu’un jour une sécurisation totale des données stockées existe : ce qu’un homme a fait, un autre pourra toujours le défaire.
Mais le management d’Uber est pleinement responsable de ses comportements : son premier mouvement a été de cacher cette situation à ses clients et chauffeurs. Pourquoi ? Parce qu’il a préféré préserver son image que l’intérêt de ses clients. Comme si l’image d’Uber était son bien propre, alors qu’elle n’est que la résultante de celles que possèdent ses clients et partenaires !
Son deuxième mouvement a été de payer une rançon à ses hackers, contre la promesse que ce détournement reste caché, et que les données piratées ne soient pas utilisées.
On reste pantois devant la naïveté et l’irresponsabilité de cette décision, dont l’échec d’aujourd’hui est le juste prix.
Ce qui est clair en tout cas, c’est que les dirigeants d’Uber ont choisi là de cautionner une action de malfrats et alimenter ce système du darknet, où on trafique armes, drogue, données à des fins criminelles.
Ce qui est clair aussi, c’est que nous participons à ce mouvement, en potentielles victimes choisissant de ne voir que le côté fun, pratique, économique, neuf de ces nouveaux services.
Le big data ne transforme pas notre nature humaine, il ne fait qu’amplifier les conséquences de ses défaillances, en multipliant vertigineusement leur champ d’action et le nombre de leurs occurrences, et en les rendant à la fois totalement visibles et totalement incorrigibles. Qui paiera pour les arnaques aux données d’Uber ?
Chercher sans précaution à établir une mondialisation de l’espèce humaine par ce moyen conduirait droit à la généralisation des violences, chacun s’estimant fondé, par l’impuissance du système social, à se faire justice par lui-même.
Nos logiciels de comportement individuel ne sont pas encore prêts. Nos dirigeants d’entreprise, nos politiques, nos sociétés civiles ne partagent pas un socle suffisant de valeurs et d’éthique pour garantir une morale commune d’action positive, une homogénéité de réactions de rejet et de sanction du crime.
Il ne s’agit bien évidemment pas de rejeter la numérisation ; il s’agit de hausser en parallèle notre niveau de maîtrise éthique à la hauteur de la puissance de ces outils, avant de s’attaquer à l’immense enjeu de la mondialisation de notre espèce.
Au service de son avenir, et non de la soif clivante de domination de quelques-uns.
Daniel Rigaud