20h02 : l’attente des Français était immense hier soir. Plus de 36 millions de personnes, pour entendre l’intervention présidentielle.
Au lendemain, les questions semblent plus nombreuses que jamais, malgré un 11 mai annoncé comme début du déconfinement.
Quel déconfinement ? Pour qui ? A quel rythme ? Pour quelle cohérence, économique, scolaire, familiale, avec quelle garantie sanitaire ?
Les réponses n’existent pas, l’exécutif ne sait pas, il l’a reconnu à demi-mot, comme la situation d’impréparation à cette pandémie. Son intervention s’en est ressentie : longs et lyriques remerciements à tous celles et ceux qui continuent à travailler, et à œuvrer pour sauver des vies, quelques mesures de soutien aux plus faibles pour les sauver temporairement de la faillite personnelle ou professionnelle.
Cela ne peut suffire dans cette crise. La communication peut faire gagner du temps, mais ne règle rien. A croire le contraire, on détruit même toute sa crédibilité : le discours sur les masques et tests manquants mais soi-disant inutiles a été désastreux pour la confiance publique.
C’est aussi le cas pour hier : au-delà des questions et critiques, plane l’impression confuse que l’exécutif cherche à gagner du temps : si le confinement continue autant jusqu’au 11 mai, que gagnerons-nous en immunisation collective, seul vrai rempart avec le vaccin contre la pandémie ? Pourquoi alors déconfiner ce jour-là ? Pourquoi pas dans des mois ? Pourquoi pas maintenant ?
D’un autre côté, gérer cette crise relève de la mission impossible pour l’exécutif.
Passe encore la situation d’impréparation dont il hérite, et dont il est plus ou moins responsable, et qui ne peut se redresser en quelques semaines.
Passe encore qu’il ne dispose que d’un ADN de technocrate récemment converti aux sirènes de la mondialisation et de la financiarisation promues outils civilisationnels de l’Humanité, pour apprendre en quelques semaines à crapahuter dans la boue et le cambouis, dans l’urgence et les cris.
Passe encore qu’il ait comme levier d’action une administration de haut vol, aux multiples structures peuplées de sommités jalouses de leurs prérogatives, et rompues aux combats d’ego au cœur d’un glacis de procédures et de protocoles, déconnectés depuis bien longtemps de l’incertitude du terrain, et de la nécessité du résultat.
Passe encore que la crise se joue sur le terrain de la santé, domaine où l’efficacité du traitement, la fiabilité de la connaissance épidémiologique, sont en débat permanent, ce qui ne peut donner à un décideur aucune certitude opérationnelle, particulièrement pour combattre une pandémie inédite.
Passe même la « multi-factorialité » de la crise, où économie, société, santé, individu et collectif, présent et futur, éthique et praxis sont liés irrévocablement. On peut croire pouvoir le simplifier en ignorant un des facteurs (confiner « quel qu’en soit le coût »), mais on ne fait qu’en déporter certaines conséquences.
Le plus difficile, c’est d’être l’exécutif de la France.
Nulle part dans le monde n’existe un peuple qui attende autant de son souverain républicain. Autant la prise en charge de l’intérêt général, que la résolution de la myriade des problèmes particuliers, le tout en respectant les sacro-saints principes du siècle des Lumières, sous la vigilance de ses gardiens du temple, et du maintien des avantages acquis, pour faire bonne mesure.
Et lorsque son Président est jeune, brillant et sûr de lui, il croit pouvoir y arriver. Prendre tout ce peuple sous sa protection. Et il le lui dit.
C’est juste impossible. Et le Président, peut-être sincère au début, s’en rend compte progressivement. Il ne lui reste que la communication pour masquer les échecs, avant la désignation de boucs émissaires, dans quelque temps. Les sacrifices individuels, si héroïques et admirables soient-ils dans cette période de crise, ne changeront rien à cette situation.
Nous ne pouvons continuer à fonctionner dans cette relation onirique malsaine, où les demi-vérités prolongent les rêves éveillés.
Il faut regarder la réalité en face.
Si notre système de santé n’était pas préparé à affronter une pandémie, c’est qu’il s’était conformé à la philosophie générale de la recherche de l’efficacité économique. Cette philosophie n’était pas cachée, elle était acceptée librement et nous avons tous, à un titre ou à un autre, bénéficié de ses conséquences. Ou à tout le moins, nous avons laissé faire, en nous désintéressant du sujet.
Nous nous sommes tous trompés, à deux titres :
- en oubliant d’intégrer dans notre organisation sociétale un paramètre « pandémie »,
- en croyant dur comme fer nous être mis à l’abri de tout aléa.
Nous admettons plus ou moins le premier, mais toujours pas le second. Nous voulons ne pas souffrir. Nous voulons le moins de morts possible. Nous attendons des compensations à tout. Nous exigeons des masques, des tests, des lunettes, du gel pour tous, et tout de suite, en tout cas pour le déconfinement.
Le Président est dans le même déni que nous, prisonnier de sa promesse de protection. Il ne nous contredit pas, déconfine sous conditions non précisées, en nous assurant que tous seront protégés. Sachant nécessairement mieux que quiconque ce qu’il en est, il nous cache incontestablement la réalité, mais évite lui-même de considérer la totalité du problème.
La réalité, elle est simple :
- les temporalités de la pandémie et de la production, ou de la fourniture d’équipements de protection et de soin, ou de traitements, sont définitivement incompatibles,
- l’économie ne peut rester ainsi à l’arrêt, sans causer des dégâts irréversibles non seulement sur le plan financier, mais aussi sur le plan social, éducatif,… tout ce qui a été mis en place (confinement, surchauffe du système de soins, ….) aura peut-être permis d’épargner 10 000 vies, mais provoqué de manière certaine une perte de 250 milliards d’€ de PIB en 2020, sans compter ni 2021, ni le cortège associé de misères sociales, vies brisées, accroissement des pandémies, sous-équipement collectif, endettement pour les générations futures,….
- Le confinement est une manœuvre de retardement qui étale la dynamique pandémique sans pour autant l’arrêter, tant qu’un vaccin n’existe pas. Il est par ailleurs probable que même un vaccin ne fera que contenir le virus sans l’éradiquer, comme celui de la grippe (600 000 à 700 000 morts par an dans le monde, 10 000 morts en France)
Dans ces conditions, un déconfinement sans risques, si sophistiqué soit-il, est une illusion.
Nous devons reprendre nos activités en nous protégeant aussi bien que possible, mais en ne comptant que sur les moyens que nous avons : masques alternatifs que chacun peut fabriquer, gestes barrière,… en sachant, et en acceptant, qu’il y aura encore des morts.
Nous avons commis une erreur. Nous devons tous, y compris et peut-être surtout les décideurs, en payer tout le prix pour mieux en tirer la leçon. Pour porter, la séance de psychanalyse doit se payer cher.
La leçon, c’est le poids de nos décisions. Dans l’univers toujours dangereux du vivant, nos choix de société peuvent se révéler mortels. A tout moment, il faut savoir se dire pour quelles idées, pour quelles conceptions de l’Homme, nous sommes prêts à mourir. Trouvons-nous acceptable, par exemple, qu’une personne soit empêchée de voir ses enfants alors qu’elle vit ses derniers instants, pour éviter un simple risque de contamination? Est-ce vraiment ce monde-là que nous voulons?
Plus forts de cette nouvelle expérience, nous pourrons alors reconfigurer nos sociétés et nos économies, et peut-être aussi notre Humanité.
Cette vérité-là, une Nation et son Président doivent la partager.
Daniel Rigaud
tu n’oublies qu’une chose… c’est que le confinement n’a été mis en place que pour une raison : éviter la surchauffe ingérable de nos services de réanimation pour réduire le nombre de morts. Confiner c’est facile (relativement !) déconfiner intelligemment beaucoup plus dur… Et le gouvernement agit pour le collectif, pas pour l’individuel… L’idée que nos vieux en EHPAD n’aient plus de visites m’est insupportable (et je bénis le ciel que maman ne vive pas ça…), mais que faire quand on sait qu’ils paient le plus lourd tribu à la maladie et qu’on n’a pas les moyens de les protéger (impréparation, certes!) ? J’espère que cette pandémie fera réfléchir plus loin que ses propres contours, c’est à dire à l’avenir de notre planète que notre modèle de société condamne, mais l’homme sera toujours l’homme : avide de confort, de pouvoir, d’argent individualistement et ça, hélas, ça ne changera pas du jour au lendemain.
Comme à l’habitude, réflexion très pertinente et qui pose les vraies questions. N’est pas Churchill ou Clemenceau qui veut !
Tout à fait d’accord Vincent
Pourtant ce genre de profils est bien utile en temps de guerre….
Quelques réflexions venues en lisant la presse et en réfléchissant sur notre merveilleux système français ou la Bureaucratie et l’absence de bon sens nous gouvernent
La route la plus chère du Monde est en voie d’achevement à la Réunion pour 1.6 milliards € ce qui correspond à la construction de 6 hôpitaux modernes ( Melun par ex) et à un coût de la vie humaine de 320 millions € ( 5 morts sur la route du Littoral entre 1980 et 2020)
De qui se moque t on depuis 40 ans ? Du contribuable , du bon sens ou de l’interêt gênera