C’est une évidence, le système électoral français dysfonctionne.
En Ve République, nous avons élu sept Présidents : de Gaulle, Pompidou, Giscard d’Estaing, Mitterrand, Chirac, Sarkozy, Hollande.
Sans jugement de leur action présidentielle, on peut dire que l’élection des cinq premiers a été plutôt sereine, portant (beaucoup) sur leur personnalité et (un peu) sur leur programme. Quel que soit son bord politique, le Président une fois élu avait une légitimité forte à représenter et agir au nom de la Nation. Et la qualité de l’élection n’y était pas pour rien.
Cela n’en fait pas pour autant des madones, sur le plan privé ou public : l’Histoire révélera peut-être un jour toute la part d’ombre, parfois tragique ou peut-être criminelle, de ces mandats.
Dans cette période, Grossouvre, Boulin, Bérégovoy, sont morts dans le premier cercle du pouvoir : à part en Corée du Nord et aux Etats-Unis, où trouver un pareil « tableau de chasse » ?
Nous terminons deux quinquennats ratés. De plus en plus ratés.
La dette explose, le chômage gagne, la pauvreté aussi. La précarité devient un état durable, dans un nombre croissant de couches sociales. Les trafiquants, les communautarismes rongent sourdement l’unité nationale, et l’intégrité du territoire. Des populations entières se sentent abandonnées. Le niveau d’éducation recule. Les institutions, accusées d’être partiales, sont brocardées. L’abstention aux élections ne cesse de croître.
A l’extérieur, la France devient inaudible : affaiblie économiquement, confuse dans son action diplomatique, vulnérable aux attentats meurtriers islamistes, submergée de scandales à répétition touchant sa classe politique, elle ne pèse fortement ni sur ses adversaires, ni sur ses alliés, notamment en Europe.
Cette situation est grave, et s’aggrave. Mais ce n’est pas le plus important.
Le plus important, c’est la rupture du pacte de confiance avec la Nation qu’ont osé nos deux derniers Présidents.
Nicolas Sarkozy a bafoué la forme la plus solennelle d’expression démocratique : le référendum de 2005 sur la constitution européenne, de surcroît à forte mobilisation électorale. La classe politique l’a suivi dans cette forfaiture, d’abord en Congrès pour modifier la Constitution, en Assemblées ensuite pour ratifier le traité de Lisbonne. La légalité de cette action ne change rien à la gravité de cette déchirure, au plus profond de l’inconscient national.
François Hollande lui a succédé, se réclamant d’être un Président normal. On l’a donc vu collectionner avec constance les petits bouts de lorgnette : Léonarda pour l’immigration, des patchs pour le monde agricole, l’outremer ou les chômeurs, si peu de chose contre son « adversaire sans visage » de la finance internationale… et une capitulation en rase campagne sur le traité budgétaire européen qu’il s’était engagé à renégocier.
Tous les deux ont « inexisté » sur la scène européenne, guerroyé au Moyen-Orient et en Afrique, souvent sans un projet politique consistant, garant de l’avenir de ces pays et de leurs peuples, et de l’intérêt de la France. L’invocation intellectuellement paresseuse des Droits de l’Homme a remplacé l’intelligence exigeante de l’action terrain.
Tous deux nous ont infligé, pendant la campagne ou leur mandat, ou les deux, les feuilletons médiatisés d’une vie privée de vaudeville. Avec un peu de bling bling en prime.
Rien ne peut être plus contraire à ce que les Français attendent de leur Président. A ce stade de divergence, on n’est plus dans la pertinence plus ou moins élevée d’une politique.
On est dans l’erreur de casting.
Et une succession d’erreurs, c’est un système qui dysfonctionne. Comme dirait Audiard : « Un barbu, c’est un barbu, trois barbus c’est des barbouzes ».
Nous n’élisons pas, le système ne nous conduit pas à élire, des Présidents ayant le bon profil.
Comment expliquer cela ?
Dans notre système électoral, trois novations ont été introduites au cours de ces dix ans : le quinquennat, les primaires, la médiatisation. Avec des argumentaires a priori séduisants :
- Le quinquennat allait éradiquer tout risque de cohabitation, vécue péniblement sous Mitterrand et Chirac, et donner au Président tous moyens d’agir avec une majorité cohérente. En passant, il adoucirait les impatiences des futurs candidats pour qui 7 ans, ou 14, c’était beaucoup, beaucoup trop long.
- Les primaires allaient permettre de choisir le candidat d’un « parti de gouvernement » (!) sans manœuvres d’appareil : un vote populaire des sympathisants tranchant en toute transparence et équité entre projets et candidats, les vaincus faisant ensuite campagne sans murmure pour le vainqueur et son programme.
- La médiatisation avait (peut-être) pour objectif de faire connaître les ténors politiques sous un jour personnel, créer de la proximité et accroître ainsi l’intérêt populaire pour la politique.
Leur effet conjugué, pour ne pas dire voulu, a dévasté le processus de maturation et de sélection d’un Président, et son mandat. Autant de mesures, autant d’échecs cinglants :
- Le quinquennat n’a pas empêché les cohabitations « violentes », celui de Hollande inventant avec originalité l’auto-cohabitation socialiste. Aucune cohésion gouvernementale entre Ministres anciens candidats à la primaire, déjà dans la prochaine Présidentielle, bientôt frondeurs, puis rebelles et démissionnaires. Pourtant les électeurs, jouant le jeu, avaient donné au Président une majorité de députés pour conduire sa politique.
Le quinquennat a aussi tiré le rôle du Président vers le bas, en le plaçant en première ligne des affaires courantes, avec trois inconvénients : doublonner avec son Premier Ministre, perdre sa position de recours, et délaisser sa mission sur le temps long : passeur de l’Histoire de France, visionnaire de son avenir.
Il n’a en rien calmé les impatiences des futurs présidentiables : rivalité furieuse Sarkozy-de Villepin, duels Fillon-Coppé, Valls-Macron…
Réforme supposée améliorer l’efficacité de la gouvernance à la tête de l’Etat, et concentrer un gouvernement sur sa tâche au service du pays, l’installation du quinquennat a au contraire diminué le temps utile de gouvernement, et amputé la fonction présidentielle.
- La primaire présente un bilan tout aussi désastreux : celle du PS de 2007 a sélectionné la candidate la moins préparée de tous, abandonnée dans sa campagne par ses rivaux battus et, déjà, par François Hollande ; celles de 2012, après nous avoir fait échapper, d’un cheveu et totalement par hasard, à une investiture Strauss-Kahn, a choisi un candidat expert à faire croire que le masquage des oppositions de courants s’appelait aussi synthèse et rassemblement.
Les primaires actuelles du PS et du LR poussent au paroxysme l’incohérence de ce fonctionnement : les rivalités s’exacerbent pendant les campagnes, rendant les réconciliations impossibles ; les vainqueurs, non soutenus ou même magistralement trahis par leurs ex-concurrents, parjures au gré des sacro-saintes intentions de vote, se traînent dans la course à la Présidentielle. Ne parlons même pas de la primaire des Verts, n’élisant un candidat éphémère que pour mieux négocier des investitures.
Très clairement, ces primaires 2017 ont abusé les électeurs qui seraient sans doute fondés à porter plainte pour publicité mensongère, abus de confiance, préjudice moral, faux et usage de faux, et réclamer aux partis le remboursement de leur participation financière, et de solides dommages et intérêts.
- La médiatisation des politiques, à coups de participation à des émissions d’entertainment, a peut-être mieux fait connaître leur personnalité, mais surtout produit deux effets néfastes : banaliser le contenu politique, en le tronquant et en le déformant ; faire de ces personnes politiques des people, quelque part désacralisés, quelque part « bankables » à la rubrique des scandales mondains ou fiscaux, … gibier de choix pour la presse satirique.
Ce pli malsain, pris depuis des années et toxique pour la démocratie, se retrouve dans les campagnes ou pré-campagnes actuelles. Les chaînes, leurs dirigeants propriétaires, leurs rédacteurs en chef et leurs présentateurs imposent avec morgue leurs conditions à des candidats-objets, en favorisent certains, et semblent persuadés, avec leurs analyses et leurs questions de carton, de peser sur le sort de l’élection.
De plus, ces journalistes relaient avec sensationnalisme les « affaires » qui leur sont jetées en pâture, en font leurs choux gras tout en se demandant, main sur le cœur, pourquoi les candidats ne parlent pas plus de leur programme. Gravement ils supputent, avec leur cohorte de politologues de plateau, si la dernière révélation permet vraiment à tel candidat de « continuer »…
Le tandem média politique est une alliance contre nature qui obscurcit l’entendement politique des citoyens, dévoie les responsables politiques vers des comportements, des manières de penser de showman, bien éloignés de ceux de l‘Homme d’Etat ; elle mène tout droit au fossé notre démocratie.
Et tout indique que cette campagne 2017 sera réglée par ces trois déterminants, délivrant aux électeurs une information hachée et mouvante sur les programmes, lui faisant subir jusqu’au bout les électrochocs des révélations de caniveau, pour briser, dans un crescendo émotionnel infantilisant, leur capacité de raisonnement, de recul, d’engagement final citoyen.
Oui, nous aurons le 7 mai un(e) Président(e) qui sera mal élu, peut-être avec un taux d’abstention inouï, car les électeurs subodorent le frelaté de cette manipulation qui les choque ; un(e) Président(e) porteur d’un programme mal compris, entouré d’une classe politique sans morale, recuite de haines accumulées depuis tant d’années, y compris, et surtout peut-être, entre camarades de même parti.
Et il est trop tard pour y faire quoi que ce soit.
Avec des turbulences mondiales sans précédent, sur le plan des équilibres géostratégiques, énergétiques, migratoires et financiers, ça ne se passera pas bien pour une France affaiblie et mal dirigée, engluée dans une Europe ni faite ni à faire.
La France souffrira, mais se relèvera. Elle est éternelle. Et il faut que la prochaine élection, probablement avant terme, la trouve ressoudée autour de ses représentants et dirigeants, parce que ce sera la condition indispensable du redressement.
Et cela passera par une « fabrique » de personnel politique, Président compris, totalement reconfigurée, selon les grands principes qui vont être proposés maintenant.
Ces principes sont de deux natures :
- des principes structurants concernant la constitution et la vie de cette classe politique, le rôle démocratique des citoyens et les relations entre les deux
- des principes opérationnels de fonctionnement de l’élection, et de son insertion dans un mandat
Les principes structurants
- « déprofessionnaliser » la classe politique: en France, nous avons dérivé vers une classe politique de métier, pour qui durer est une nécessité. Il faut en finir avec cette conception qui fabrique un milieu confiné, agressif, et progressivement hors sol.
Il faut revenir à la nature initiale du mandat politique, précaire et limité. Et le moyen certain d’opérationnaliser ce principe, est de limiter par exemple à dix ans, l’ensemble des durées des mandats exercés par une même personne, exception faite du mandat présidentiel.
- focaliser le rôle de Président sur le long terme : cela passe en partie par la manière de l’élire, nous y reviendrons. Mais cela passe aussi par la durée de son mandat, portée à dix ans, avec une possibilité d’interruption au bout de cinq ans, par référendum.
- rompre le lien médias-politique: cela passe par l’interdiction faite aux médias d’inclure des contenus ou des invités à caractère politique dans leurs émissions de divertissement ; cela n’exclut pas les émissions à caractère politique, d’exposé ou de débat, notamment pendant les campagnes ; mais dans un format permettant la pleine expression d’une pensée politique construite.
- installer un « cahier des charges citoyen » des élections : les programmes électoraux ne doivent plus procéder du libre arbitre d’un candidat, mais s’inscrire, à peine de ne pouvoir concourir, comme une réponse à un « cahier des charges » élaboré préalablement par le corps électoral, à partir d’un état des lieux factuel et partagé ; l’élection est une chose trop importante pour servir à bon compte de tribune à des causes protestataires.
- introduire la notion de responsabilité de mandat, gratifier fortement les réussites : la seule sanction existant aujourd’hui d’une action politique (hors poursuites judiciaires !) est le non renouvellement de mandat. Dans la mesure où la fonction politique redevient précaire par la règle des dix ans proposée plus haut, il est légitime que la réussite, établie par un bilan des réalisations, soit fortement gratifiée : en dizaines ou centaines de milliers d’euros pour des mandats territoriaux, en millions d’euros pour le Président.
- sanctionner les présentations trompeuses de chiffrage ou de mesures : les candidats sont bien entendu libres d’exprimer leur vision et leurs solutions, essentielles pour le choix des électeurs ; pour autant, elles ne doivent pas s’appuyer sur un détournement des éléments factuels : ces pratiques, encore trop fréquentes, sont assimilables à une volonté de tromperie, et doivent être sanctionnées, y compris par une disqualification de candidature dans les cas les plus graves.
- unifier et certifier la partie objective d’audits des situations : avant une élection, à la fois pour éclairer le citoyen et faire gagner du temps aux candidats, faire établir par un organisme neutre un audit certifié de la situation (économique, sociale, financière,…) du territoire de l’élection, et le rendre public. Se servir des données fiables de ce document sera inattaquable, en utiliser d’autres expose le candidat à des vérifications de sincérité.
- remplacer le vote uninominal à deux tours par le vote par jugement majoritaire : le scrutin uninominal à deux tours que nous connaissons tous ne permet qu’une expression pauvre des électeurs, et peut-être pour cela génère chez les candidats et les électeurs des stratégies de contournement : vote utile, front contre une candidature, désistements de deuxième tour, pression sur les « petits candidats » pour qu’ils se retirent….
Le vote par jugement majoritaire à deux tours est bien plus performant pour exprimer le choix démocratique, comme l’explique cette vidéo (il y en a d’autres bien sûr) :
Les principes opérationnels
- consacrer l’action politique du député de la majorité à la réussite du programme présidentiel, pendant les quatre premières années de son mandat : une élection présidentielle choisit un(e) candidat(e) et un programme de gouvernement ; les élections législatives lui donnent une majorité pour l’appliquer.
Il doit être clair pour ces députés de la majorité, qu’ils sont là pour concrétiser et faire réussir ce programme, et c’est un travail considérable. Il n’y a pas de place pour faire valoir, au cours des quatre premières années de mandature, leurs idées personnelles alternatives. Se comporter autrement dans l’hémicycle vaut déchéance du mandat.
Les députés de l’opposition sont bien entendu exonérés de cette contrainte.
- ouvrir le débat sur les programmes et l’émergence des candidatures au cours de la seule dernière année de mandat : la dernière année de la législature s’ouvre par le référendum de poursuite du mandat présidentiel ; au cas où son résultat est positif, le Président élabore le programme de gouvernement des cinq années suivantes, servant de référence aux candidats aux législatives qui auront été investis.
Si le résultat est négatif, alors la porte est ouverte à l’émergence de nouveaux candidats et de nouveaux programmes, selon les règles ci-dessous
- scinder la sélection en trois temps : qualification « morale » du candidat, qualification des programmes, vote : les électeurs doivent pouvoir construire leurs choix sur des éléments tangibles construisant progressivement ce que sera l’offre politique de l’élection. Nous proposons d’organiser la cinquième et dernière année de mandat ainsi :
- 6 mois pour établir le diagnostic, formuler le cahier des charges citoyen, construire des candidatures, et les proposer
- 2 mois pour qualifier les candidats sur le plan moral et judiciaire, et garantir qu’aucune affaire ne se révèlera par la suite. Un candidat ainsi qualifié s’engagera, s’il est battu, à ne pas être au prochain gouvernement.
- 2 mois pour qualifier les programmes, sur le plan de la cohérence des chiffres annoncés, et la faisabilité du calendrier des mesures prévues ; et les rendre publics sous un format unique
- 2 mois de campagne, avec des possibilités d’ajustement limités des programmes déposés, avant le vote par jugement majoritaire
- réglementer la communication selon ces trois temps :
- toute liberté d’investigation, d’expression sur un candidat ou sur un autre, est totale jusqu’à la qualification des candidats ; au-delà, les attaques à caractère personnel sur les candidats seront sanctionnables
- de même, tout peut être dit sur les chiffres ou les mesures des programmes concurrents jusqu’à leur qualification ; au-delà, les attaques sur la sincérité des programmes seront sanctionnables
- pendant les deux mois de campagne, le débat portera essentiellement sur l’efficacité des programmes à répondre au « cahier des charges citoyen », et leur faisabilité politique nationale et internationale
Avec ces modalités, nous aurons toutes les chances d’avoir exprimé pleinement notre vote, vécu une élection de haute tenue, et repris un peu confiance dans nos institutions. Bref, être plus forts pour réussir à notre tour, à notre place, la France
Daniel Rigaud