- Poser le problème
Je sais : ce simple mot immigration va mettre la toile en feu. Me vaudra quelques désinscriptions vengeresses, sans se donner la peine d’aller au-delà du titre.
Car l’hystérie sur l’immigration est partout. Regardez les Présidentielles : les propositions des candidats du premier tour montaient aux extrêmes, de l’ouverture totale à la fermeture complète des frontières. Comme si l’immigration ne pouvait être qu’un sujet de passion, d’idéologie, ne laissant aucun rôle à l’objectivité et à l‘analyse pour réduire un peu, un tout petit peu, l’éventail des positions.
Mais comment en es-tu arrivée là, douce France, toute de raison et de tolérance? Où sont passés ta mesure, ton bon sens et ta finesse ?
L’approche devenue passionnelle d’un sujet trouve souvent sa cause dans la concomitance d’injonctions paradoxales irréconciliables, faisant le siège de notre entendement : conditionnements de toutes natures (culturels, sociétaux,…), chocs émotionnels, rapports humains marquants, …
Lorsque cette confrontation devient insupportable, nous « décrochons » : nous nous fermons à certaines de ces influences, et pour faire bonne mesure nous « montons le son » de celles que nous retenons pour étouffer le reste, y compris d’ailleurs la voix de notre mauvaise conscience, qui nous reproche de tomber par facilité dans la schématisation et la partialité.
Chacun faisant ses propres arbitrages, naissent alors les oppositions de passions et leur cortège, jamais bien loin, de violences et de souffrances, infligées dans le fol espoir de détruire chez autrui ce que nous avions étouffé en nous.
C’est l’honneur, et sans doute le levier de progrès de l’intelligence humaine, que de s’efforcer de traiter la complexité : encore faut-il qu’elle ne soit pas inutilement excessive. Qu’elle ne nous mène pas prématurément à ce seuil de « décrochage », qui lève sans retour ces passions potentiellement destructrices.
Concernant l’immigration en France, compte tenu du niveau passionnel atteint maintenant, il est urgent de mener cette clarification et cette remise à plat. Ce partage du niveau réel de complexité que nous avons à gérer pour trouver une solution acceptable à mettre en place collectivement.
Sur l’immigration, à quel faisceau d’injonctions paradoxales avons-nous été, et sommes-nous soumis aujourd’hui ?
Il faut favoriser la compétitivité de l’économie: L’immigration, et notamment lorsqu’elle est en situation irrégulière, permet de mettre la pression sur les travailleurs français « concurrents », pour augmenter la compétitivité de certain secteurs ou entreprises, et se tenir éloigné du plein emploi
Il faut appliquer les lois de la République : La République a produit des lois sur l’immigration : procédures d’accueil, de décision, d’accès à l’éducation et à la santé, de reconduite à la frontière le cas échéant ; comme toutes les autres, parce qu’elles définissent une volonté concourant à l’unité nationale, elles doivent être respectées
Il faut imposer la laïcité : Elle fait maintenant partie de nos gènes, au terme d’un long et sanglant processus de plusieurs siècles ; aucune religion apportée par l’immigration ne peut remettre en cause cette situation.
Il faut pratiquer la charité chrétienne : au-delà des droits et des devoirs, existe l’idée ancienne du secours à apporter à son prochain dans la détresse, et le respecter dans ses coutumes et croyances, au nom de la fraternité humaine
Il faut respecter les Droits de l’Homme : L’article 14 de cette Déclaration nous oblige à accueillir tout étranger persécuté demandeur d’asile, sauf s’il est poursuivi pur des faits de droit commun
Il faut faire payer ses fautes au monde occidental : le monde occidental s’est enrichi par le colonialisme notamment avec le continent africain, et doit maintenant partager ses richesses avec celles et ceux qu’il a jetés dans la misère, et utilisé au cours des deux guerres mondiales
Il faut transmettre notre Histoire et défendre notre culture : l’immigration place sur notre sol des personnes issues de cultures et d’histoires différentes ; cette situation d’hétérogénéité ne doit pas remettre en question l’unicité du récit national, et notre manière de vivre librement choisie et élaborée au cours du temps
Il faut partager les richesses et les savoirs : les richesses produites, les savoirs développés ne peuvent rester l’apanage de quelques-uns mais appartiennent à l’ensemble de l’humanité qui doit y avoir accès.
Il faut donner la priorité à l’émotion : le caractère spectaculaire d’une image de détresse permet que l’émotion publique prenne instantanément le pas sur une politique pourtant établie de longue main
Il faut favoriser la diversité : la diversité est un facteur d’enrichissement d’une collectivité, de développement de la tolérance et de l’ouverture d’esprit, et doit donc être encouragée.
Il faut avoir une démographie forte pour un pays jeune : c’est un gage de pérennité, de dynamisme, d’initiative et d’inventivité
Par ailleurs, parler globalement d’immigration obscurcit le raisonnement, et nous renvoie très vite dans le piège passionnel.
Pour éviter cela, Il faut distinguer au moins :
- l’immigration de peuplement : c’est ce que pratique aujourd’hui Mme Merkel en Allemagne, pour faire face à la chute de la natalité et au dynamisme économique ; elle a vocation à être durable et se fondre, ou la transformer selon les proportions, la Nation concernée. Elle a pour limite, quelque part, le seuil de tolérance de la population autochtone à se faire ainsi bouleverser. Elle fait aussi courir le risque de la création de multiculturalismes hostiles, comme dans les Balkans, voire de basculement à terme dans le modèle de société ainsi importée.
- l’immigration d’ajustement économique : elle a sa justification pour suivre les évolutions de l’économie, notamment lorsque le niveau de valeur ajoutée et de compétences s’élève, ce qui conduit à une désertion de certains métiers trop pénibles ou trop contraignants. Dans son essence, elle ne peut être que temporaire et variable dans son ampleur, ce qui rend essentielle l’efficacité de la procédure de retour au pays d’origine. Elle pallie le manque de réactivité de la démographie, qui ne peut « coller » d’aussi près qu’elle aux besoins.
- l’immigration de partage des savoirs : elle fait accueillir pour un temps limité les étudiants étrangers à la découverte de la France, de son art de vivre et de ses savoirs, et favorise le mouvement symétrique chez les nôtres. Elle participe au rayonnement international de la France, et ne peut être qu’encouragée.
- l’immigration d’asile politique : elle est le signe de la générosité de la France, mais cette générosité a un coût qui conditionne son ampleur à la situation économique générale ; elle est temporaire par définition, puisqu’elle est causée par un désordre également temporaire dans le pays d’origine (conflits, dictature,…)
Construire une approche objective de cette question d’immigration pour l’intérêt de la France va consister maintenant à :
- examiner l’ensemble des injonctions qui s’exercent sur nous, et à ramener certaines à leur juste place, pour tous les types d’immigration présentés ci-dessus,
- retenir les injonctions pertinentes cette fois par type d’immigration, et en déduire le champ de validité de politiques en ce domaine.
Ce sera le sujet du prochain article de Conjecture 4.0, dans une semaine
PS : je laisse ouvert le sondage sur le processus d’élection… actualité oblige !
Daniel Rigaud