L’Assemblée Générale de l’ONU vient d’être l’enceinte, dans tous le sens du mot, d’un instructif concours d’éloquence entre les deux pasteurs, pardon, les deux Présidents des Etats-Unis et de la France, membres du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Du pasteur, D. Trump et E. Macron adoptent la posture habituelle : exhorter le troupeau des fidèles à bâtir un monde vertueux, fustiger les moutons noirs qui rigolent.
Mais ces deux « pasteurs » présidentiels ne sont pas de la même Eglise, et leurs discours divergent :
- Celui de l’Américain est carré, affirmatif, content de lui et sans fioriture ; s’il reconnaît que l’ONU a pour origine l’envie universelle de paix après les guerres mondiales, il ne manque pas de vanter le rôle militaire de l’Amérique pendant 70 ans pour le concrétiser ; l’ONU oui, s’il est l’organisme de nations « indépendantes » qui épouse cependant à chaque fois les causes de l’Amérique, et contribue davantage financièrement et matériellement aux interventions armées ; et tant pis si ces causes peuvent être mensongères comme a pu l’être celle de l’Irak, dont il s’est bien gardé de parler.
Ses moutons noirs à lui s’appellent gouvernements de Corée du Nord, d’Iran, du Venezuela, de la Syrie, finançant des terroristes et/ou opprimant leurs peuples et menaçant les autres nations ; il leur promet de s’occuper d’eux avec son armée, la meilleure du monde.
La foudre du Juste et du Fort, qui pour cette double raison ne peut que triompher à la fin.
- Celui du Français, au prix d’une grosse approximation historique (la deuxième guerre mondiale, ce n’est quand même pas le monde venant sauver la France du nazisme), se bâtit dans le territoire de l’émotion ; par un joli effet littéraire, il fait parler les sans-voix (enfants du Sahel, de Syrie, de Saint Martin,…) pour introduire et humaniser ses sujets contre le terrorisme, la Syrie, le climat,… et rappeler en passant les contributions de la France, tout en atténuant subtilement ses erreurs : l’intervention en Lybie n’est plus un désastre, mais une heureuse perspective de réconciliation et de démocratisation, depuis la rencontre de juillet en France. Ses moutons noirs à lui sont nommés en creux, par désignation de leurs victimes.
Mais son outil n’est pas la force, que ce soit pour rompre unilatéralement les traités ou réduire l’ennemi : c’est le multilatéralisme, l’échange, la négociation, le consensus. Nous faire du bien en faisant le bien. Se résigner au raccourci du plus fort, ce serait suivre la diagonale du fou qui jette l’humanité dans les guerres et le malheur.
L’eau du Souple et du Patient, qui avec le temps érode tous les obstacles.
Alors qui a gagné ?
L’Assemblée des Nations terrifiée s’agrippe-t-elle aux jambes de l’Américain ? Se jette-t-elle, pleurant d’émotion, dans les bras du Français ?
Après ces deux discours retentissants, de quel avenir d’humanité l’ONU se trouve-t-elle grosse ?
D’aucun, j’en ai bien peur.
Car chacun à leur manière, ces discours imaginent une maîtrise du monde qui n’existe et n’existera pas :
- Militairement, les Etats-Unis n’ont pas les moyens d’anéantir leurs opposants. Bien sûr ils peuvent mettre militairement à genoux un petit pays devenu sans soutien (Syrie, Irak,….). Mais ni tous en même temps, ni tout le temps. Et encore moins un pays moyen (Turquie, Birmanie, Iran, Corée du Nord), ou un grand (Russie, Chine).
Financièrement et économiquement, l’emprise du dollar sur le monde se desserre, ses jours de monnaie mondiale de référence semblent comptés face au futur petro-yuan.
- Le multilatéralisme prôné par la France est-il alors la bonne voie ? Pas davantage. Les Nations, arc-boutées sur leurs intérêts nationaux, (my-country-first) ne peuvent que discuter sans fin ou passer des accords éphémères basés sur l’intérêt du moment, cyniquement détournés à la première occasion, tandis que les morts s’empilent.
En réalité, il manque à l’ONU trois fondamentaux pour faire œuvre utile d’Humanité :
- Une compréhension réaliste de l’état des Nations : la vision onusienne du monde, c’est un ensemble homogène de Nations figées dans leurs frontières qui doivent toutes respecter, ou tendre à respecter, les Droits de l’Homme, « produit » récent de la pensée occidentale (milieu du 20e siècle, dans sa forme actuelle). Le moindre écart au modèle, et c’est la sanction.
Cette vision est un déni total de réalité.
La réalité, c’est qu’il existe quelques Nations matures, façonnées par une longue et souvent barbare histoire d’où a émergé un jour l’état de Nation, fascinant et mystérieux mélange de culture, de géographie, d’institutions, d’histoire, de désir de vivre ensemble spécifiques mais partagés.
Et puis il y en a d’autres, souvent de moins de deux siècles d’existence, aux frontières arbitraires, aux ethnies accolées sans s’être acceptées, sans histoire ou construction communes, sans volonté collective d’avancer, dépecées par des dictatures. De toute évidence, elles sont en pleine construction.
Et pourtant le modèle onusien, construit justement par les Nations plus matures, va s’abattre sur elles comme si de rien n’était. Condamner, intervenir dans leurs soubresauts violents. C’est leur enlever toute chance de devenir par elles-mêmes des Nations authentiques, de plein exercice.
Aurions-nous oublié d’où nous venons ? Oublié comment nos valeurs démocratiques ont peu à peu émergé des siècles de servage dont la rudesse a été le terreau ? Les aurions-nous aujourd’hui si des forces extérieures nous avaient empêchés à l’époque de souffrir dans notre chair et graver dans notre mémoire collective la Saint-Barthélemy, l’Inquisition et la Révolution ?
Il est indispensable que l’ONU prenne acte de cette réalité, et y adapte ses modes d’intervention. A l’évidence, c’est une composante essentielle du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes qu’on leur vole.
- Un projet « offensif » pour l’humanité : L’ONU souffre de la même faiblesse que l’Europe : elle n’a pas de projet. Vouloir la paix dans le monde, c’est vouloir un état de non-guerre, ce n’est qu’un anti-projet. C’est vouloir faire disparaître les conflits-symptômes, vus comme le mal absolu, au lieu de rechercher et affaiblir leurs causes.
Tonneau des Danaïdes assuré.
Et pour affaiblir ces causes, il faut les marginaliser. Faire lever une marée d’énergies positives pour un projet d’humanité enthousiasmant partagé, bien au-delà du simple code de bonne conduite sociétale que sont les Droits de l’Homme.
Face aux Nations, l’Institution ONU ne peut justifier son existence que si elle porte une transcendance d’ordre supérieur, qui ne peut être que, osons le mot, le destin de l’espèce humaine (voir l’article à ce sujet sur ce site).
- Une instance dirigeante respectable : la gouvernance de l’ONU souffre d’énormes incohérences : créée pour la paix dans le monde, l’ONU nomme à son Conseil de Sécurité, avec droit de veto, les Nations possédant le feu nucléaire. Dit autrement, la légitimité pour gouverner l’ONU, c’est être plus fort, pas plus pacifique.
Derrière elles, ces Nations ont fermé à double tour la porte du Conseil de Sécurité, par le pacte de non-prolifération nucléaire : implicitement, elles ont dit aux autres Nations qu’elles étaient, et resteraient, des Nations irresponsables, de seconde zone.
Ça n’a évidemment pas marché : Israël, le Pakistan, l’Inde, la Chine, la Corée du Nord, d’autres peut-être, se sont nucléarisées. Mais elles ne rentrent pas pour autant au Conseil de Sécurité (sauf la Chine) : deux poids, deux mesures.
Mais qui a trahi et rendu possible cette prolifération ? Par définition les Nations qui savaient. Celles qui siégeaient au Conseil de Sécurité, les mêmes qui avaient voulu le traité de non-prolifération.
Quel crédit peuvent alors accorder les autres Nations à ce Conseil ? Comment éviter qu’elles ne pensent qu’à leurs intérêts, leurs alliances, leurs rapports de force, en écoutant d’une oreille polie les rodomontades comme les trémolos, et en assistant aux contournements tranquilles des résolutions concernant la Corée du Nord ?
L’instance dirigeante de l’ONU doit avoir une forte légitimité pour fédérer.
Etre choisie pour sa congruence avec le projet de l’ONU, demeurer irréprochable sur ce point dans ses comportements, en est la condition.
Daniel Rigaud