Dans un mois et demi, les élections seront terminées, et une nouvelle Assemblée Nationale sera mise en place.
Quelle que soit sa couleur politique, elle devra s’atteler à la mise en œuvre du programme du quinquennat qui s’annonce copieux, sous le contrôle du peuple par ses représentants : les députés, regroupés ou non en partis, censés améliorer les propositions du gouvernement. En un mot, fabriquer de la loi pour le programme, être notre « law factory ».
Enfin, en théorie.
En théorie, car d’autres travaux l’attendent : transposition des directives européennes, textes à l’initiative parlementaire, questions d’actualité,…
Néanmoins, sur la législature, c’est un nombre impressionnant de lois qui seront débattues et votées, nombre qui ne cesse de croître :
Aujourd’hui, 10.500 lois, 127.000 décrets, 7.400 traités, 17.000 textes communautaires seraient applicables en France, certains textes remontant au Moyen-Age. La loi apparemment encore en vigueur interdisant d’appeler son cochon Napoléon, en est un exemple amusant.
Ces textes sont tous applicables, tous censés connus des citoyens.
Loin de moi l’idée de contester le bien fondé de la loi, rappelé par Lacordaire : « Entre le fort et le faible, entre le riche et le pauvre, entre le maître et le serviteur, c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ».
Nous serions donc en France très, très affranchis.
Sauf que chacun est individuellement incapable de maîtriser, ou simplement se repérer dans un tel foisonnement. Donc de l’utiliser pour se défendre.
Sauf que cette accumulation de règles et d’interdits enchevêtrés finit par créer, au niveau d’une collectivité nationale, un blocage structurel complet. Donc par entraver l’imagination nécessaire pour innover en liberté.
Seule solution : faire appel à des professionnels du droit qui vont rechercher et faire valoir auprès d’autres juristes les failles et les contradictions des lois, et dégager ainsi, par une jurisprudence ad hoc, parfois avec une aide politique, un petit espace de liberté.
Bref la loi, censée être à la disposition de chacun pour régler sa conduite et se défendre, devient par son excès un outil maîtrisé par un seul petit nombre. De nouveaux forts, de nouveaux riches, de nouveaux maitres. Tout le contraire d’un fonctionnement démocratique. Retour à la case départ.
Comment s’en sortir?
Revenons à la « law factory », et à son fonctionnement.
Travaillé ou non auparavant dans les commissions, le projet de loi posé sur le bureau de l’Assemblée est examiné article par article, chacun faisant l’objet de propositions d’amendements.
Ces amendements, ce sont des virgules, des synonymes, des morceaux de phrase, plus rarement tout l’article. Proposés par tous les parlementaires, ils sont parfois des milliers car ils sont pour les opposants autant de moyens de retardement de l’adoption de la loi.
Ensuite, le va-et-vient entre l’Assemblée et le Sénat peut parfois complètement remettre en cause le consensus laborieusement voté, ce qui rallonge considérablement le processus puisqu’on peut repartir de zéro !
Naturellement, cet hallucinant processus chronophage empêche toute vérification approfondie de cohérence avec les lois existantes, toute évaluation des situations que va créer la nouvelle loi, comme des moyens requis pour sa mise en œuvre.
Si une unité de fabrication, par exemple automobile, fonctionnait suivant la même logique, elle introduirait en entrée de chaîne une voiture complète (le projet de loi), qui serait ensuite déconstruite/reconstruite centimètre par centimètre, par des opérateurs appartenant à des syndicats concurrents qui feraient de chaque modification, du parechoc avant aux feux arrières, un enjeu de pouvoir et de temps de travail, votée à main levée en AG.
Après quoi, un deuxième atelier remettrait le résultat obtenu en entrée de chaîne, recommencerait pareil, et renverrait le résultat au premier atelier, qui aurait le dernier mot.
Et on vendrait la voiture sans vérifier si in fine ses caractéristiques sont compatibles avec le gabarit des routes et des ponts, les conditions climatiques, ou les normes de pollution.
Auriez-vous confiance dans une voiture « fabriquée » ainsi ? Obtiendriez-vous de cette manière un coût, un délai, une fiabilité, des fonctionnalités optimisés ? Pas sûr.
De loin, c’est quand même mieux quand un Bureau des méthodes, à partir des plans du Bureau d’Etudes, définit des gammes opératoires, des temps, des procédés d’assemblage,… et les fait appliquer, pour viser de « faire bien du premier coup », à temps et coût optimisés, ensemble.
Ne pourrait-on imaginer pour l’Assemblée un processus où une loi serait progressivement établie par « grands ensembles » successifs : ses motifs, le sens de ses dispositions, son champ d’application,… pour terminer par le détail des mots et des ponctuations ?
Ne pourrait-on pas aussi imaginer un « budget temps » alloué par « grands ensembles », en fonction de la complexité et de l’importance de la loi à produire ?
Chaque étape de ce processus « d’assemblage » d’une loi ferait l’objet d’un vote simultané, posant à chaque fois un « cliquet » partagé entre Assemblée et Sénat, de plus en plus précis, de plus en plus engageant, pour un gain considérable d’efficacité, de qualité et de cohérence d’ensemble.
Le temps gagné serait mis à profit non pas pour faire plus de lois (pitié !) mais pour exercer une nouvelle mission : élaguer l’appareil législatif, par grands domaines (éducation, santé, environnement, construction, écologie,…..), suivant un programme à l’échelle de la législature, faisant largement appel au vécu des citoyens et des professionnels de ces domaines, dans un cas d’application concret et légitime de démocratie citoyenne.
Triple avantage :
- acquérir une vue d’ensemble de l’appareil législatif, à ce jour inédite semble-t-il,
- engager un processus d’amélioration au niveau global et par grands domaines, et non loi par loi,
- créer les conditions d’une meilleure compréhension et appropriation par les citoyens, donc d’une meilleure application.
Et cette efficience législative et son plus grand partage sont un puissant levier de cohésion de la Nation.
Dans les temps qui s’annoncent, nous en aurons grand besoin !
Daniel Rigaud