La Constitution de 1958 porte une incroyable ambition : doter notre pays frondeur et paradoxal d’un cadre pérenne de gouvernance, conjuguant liberté d’expression et efficacité d’action : une gageure !
L’instrument de cette ambition : le système électoral uninominal à deux tours, conduisant presque immanquablement au bipartisme, limitant ainsi au minimum démocratique les embardées du char de l’Etat.
Et puis, notre naturel national étant ce qu’il est, pour des raisons déjà évoquées ici, le bel édifice s’est mis à brinquebaler, de plus en plus fort. Jusqu’à maintenant, où toute notre classe politique, entre Présidentielles et législatives, est lancée dans le saut périlleux de sa vie.
Tant qu’elle est en plein vol, faisons un petit arrêt sur image.
Nous avons donc un Président élu en gros aux 2/3 des suffrages exprimés, mais avec une faible proportion de votes d’adhésion, au terme d’un processus électoral invraisemblable qui aura « dégagé » deux anciens Présidents, et trois anciens Premiers Ministres.
Nous avons les deux partis auto-proclamés « de gouvernement » privés de second tour, pour la première fois de l’histoire de la Ve République. Leurs élus sont aux abois, s’affranchissant d’engagements ou de convictions passés, prêts à s’enrôler n’importe où pour s’assurer un prochain mandat. Triste et inévitable conséquence d’un personnel politique devenu de métier.
Nous avons un Président sans parti mais avec un mouvement qui veut le devenir, et tenter d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée, en partant de zéro. Se donnant de plus comme contrainte de présenter des candidats au moins pour moitié novices en politique.
Nous avons des battus du premier ou du second tour, qui n’ont renoncé à rien, et rêvent tous de gouverner à la place du Président, en lui imposant une cohabitation de combat.
Nous avons un programme des cent jours « chiffon rouge » comme jamais, avec en vedette la prise d’ordonnances concernant le code du travail (les syndicats apprécieront), et la moralisation de la vie publique (les élus apprécieront).
Chapeau. Au tarot, on appellerait ça une « garde contre », avec Chelem et petit au bout. Au moins.
Le mot juste pour dépeindre cette situation wagnérienne ? Pas moins que celui de Danton, le révolutionnaire : « il nous faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace, et la France est sauvée ! »
Et la France est sauvée ?
Pas sûr.
Il faut quand même in fine que les institutions fonctionnent, c’est-à-dire qu’elles donnent aux élus les moyens de gouverner. Qu’elles extraient de cette effervescence une majorité unie derrière un gouvernement qui avance, pour avoir une petite chance de réussir. Que le dialogue, la pédagogie et l’écoute prennent le pas sur la caricature et l’affrontement.
Pour cela, l’équipe arrivée au pouvoir compte sur la confirmation, que donnent toujours les Français, de l’élection présidentielle par les législatives.
Mais ça c’était avant.
Avant, quand deux partis structurés s’affrontaient, égaux à quelques % près. Avec cette vie politique décomposée, cet électorat devenu multipolaire, qui peut assurer que cette pratique de confirmation survivra?
Et si les législatives renvoyaient à l’Assemblée quatre (ou cinq, avec un retour du PS) groupes parlementaires sensiblement égaux, reflet du vote du premier tour? Comment constituer alors une majorité de gouvernement ? Qui choisir comme ministres ? Placé dans l’impossibilité d’agir, le Président pourrait-il se voir contraint à la démission, ou à une aventureuse dissolution ?
C’est une épreuve d’une ampleur inconnue qui se profile pour nos institutions, un véritable crash test qui peut tourner à l’essai destructif, et à la crise de régime.
Sauf si, par miracle, l’impossibilité de faire fonctionner normalement les institutions obligeait les parlementaires de tous bords à reconnaître l’urgence, et courageusement à travailler ensemble à l’intérêt général. Peut-être, le matin d’un nouveau monde….
Mais ça…., ce ne serait plus l’audace révolutionnaire, mais la grâce divine !
Daniel Rigaud