- Mener l’analyse
Onze.
C’est le nombre d’injonctions que l’article précédent recensait sur l’immigration. Injonctions sociétales et morales, paradoxales entre elles, qui assaillent en permanence notre entendement.
Elles nous mettent au défi de répondre juste à leur complexité. D’éviter de tomber dans la caricature, l’aveuglement, la passion. Bientôt l’imposition violente, clivante et inefficace. Impensable.
Onze, c’est beaucoup. Mais ces injonctions sont-elles toutes légitimes ? Il ne semble pas. Certaines s’imposent, d’autres se discutent ou même s’effondrent à l’examen.
Dans cet esprit, on peut identifier les traitements suivants à réserver à ces injonctions:
- « choix politique » : injonction qui doit être fixée périodiquement par le gouvernement et le parlement
- « négociation » : injonction subordonnée à l’intérêt économique ou culturel du moment
- « obligation » : injonction indissociable de notre vision de l’humanité, de la République et de la Nation
- « refondation » : injonction importante sur le fond mais devenue obsolète, à réinventer.
- « suppression » : injonction à bannir, illégitime sur le sujet de l’immigration
Les injonctions se classent alors ainsi :
Choix politique
- « Il faut favoriser la compétitivité de l’économie »: injonction courante concernant l’immigration, dont la teneur plus ou moins libérale doit être fixée démocratiquement
- « Il faut favoriser la diversité »: injonction à caractère général et théorique, dont les bénéfices attendus pour la société (ouverture, tolérance) sont contrebalancés par des inconvénients probables (complexité, coût d’intégration) ; là aussi, le curseur doit se fixer dans un programme politique
- « Il faut avoir une démographie forte pour un pays jeune » : cette injonction qui semble pleine de bon sens a cependant des conséquences lourdes en matière d’équipements, d’éducation, d’arbitrages inter générationnels (la santé, ou l’éducation ?), et ne peut être décorrélée d’une ambition économique (croissance, type d’emplois,..) : autant de choix à expliciter dans une politique
Négociation
- « Il faut partager les richesses et les savoirs »: cette belle affirmation est hautement estimable, mais probablement trop en avance dans le monde d’aujourd’hui pour être appliquée universellement ; pour longtemps encore, certes dans le respect réciproque, les partages seront plutôt des échanges régis par des intérêts bien compris, et cela s’appliquera sur cette problématique de l’immigration
Obligation
- « Il faut appliquer les lois de la République »: injonction essentielle car la loi est l’expression et la condition du collectif national ; chercher à la contourner, à ne pas l’appliquer, c’est nuire à ce bien commun qu’est la République
- « Il faut imposer la laïcité»: c’est le point d’équilibre que nous avons trouvé en France pour résoudre notre complexité des croyances et non-croyances : s’en écarter nous ramènerait à très brève échéance à des affrontements pas si lointains.
- « Il faut pratiquer la charité chrétienne » : cette injonction sur une valeur appartenant maintenant à notre culture nationale, doit s’exercer sans contrevenir aux lois de la République, ni se réclamer d’une confession
- « Il faut transmettre notre Histoire et défendre notre culture »: cette injonction participe aussi à la préservation de notre bien commun, et à la solidité de notre unité nationale, et s’applique obligatoirement dès qu’une immigration prend un caractère définitif ; elle reste cependant hautement souhaitable pour les autres catégories.
Refondation
- « Il faut respecter les Droits de l’Homme »: cette injonction est devenue un dogme.
Ses idées généreuses appartiennent à une époque où les flux migratoires massifs étaient physiquement impossibles, les images et les informations venues d’ailleurs inexistantes, les civilisations étanches entre elles, la démographie régulée par la seule Nature. Cette époque n’est plus la nôtre.
Repenser cette Déclaration, passer des droits de l’Homme aux Droits de l’Espèce Humaine est une tâche devenue nécessaire, la France serait dans son rôle historique en la prenant en charge.
Suppression
- « Il faut faire payer ses fautes au monde occidental»: cette injonction en vogue ne correspond pas à une évidence historique et économique : il y a eu des apports et il y a eu des abus, comme dans toute activité humaine, qu’il est bien facile aujourd’hui de condamner quelques siècles plus tard. Les situations de famine ou de guerre dans le monde d’aujourd’hui ne sont pas la conséquence d’un pillage des ressources occidental, mais plutôt des caprices de la nature, de l’avidité des dirigeants ou des conflictualités locales, ethniques ou religieuses. Cette injonction n’a donc pas sa place dans la problématique de l’immigration.
- « Il faut donner la priorité à l’émotion »: cette injonction a gagné en force ces dernières années, au point de peser sur les prises de position politiques nationales. C’est une très mauvaise approche conduisant tout droit, par absence de prise en compte de la globalité du problème, à des solutions hâtives, incohérentes et discutables, et à des oppositions passionnelles. L’émotion, la prise en compte des cas particuliers, est du domaine de la charité chrétienne dans le respect des règles de la République. Cette injonction est donc à bannir.
Cette clarification étant apportée, en plus de celles à caractère obligatoire (lois de la République, laïcité, charité chrétienne, défense de l’Histoire), quelles injonctions s’appliquent à quelle catégorie d’immigration ?
Immigration de peuplement
Cette catégorie d’immigration est clairement sous l’influence des injonctions : « rechercher la compétitivité de l’économie », « avoir une démographie forte pour un pays jeune », « favoriser la diversité ».
Elle se conçoit lorsqu’à la fois :
- l’économie exige pour longtemps un accroissement de la population active,
- le dynamisme de la démographie autochtone ne permet pas d’y répondre,
- la population actuelle est prête à accepter plus de diversité.
C’est un choix fait aujourd’hui par l’Allemagne et le Canada par exemple, mais écarté par le Japon et l’Australie, du fait de cette condition d’acceptabilité de diversité.
Immigration d’ajustement économique
Cette catégorie d’immigration est clairement sous l’influence des injonctions : « rechercher la compétitivité de l’économie », « avoir une démographie forte pour un pays jeune ». Elle se conçoit pour un besoin temporaire de l’économie que ne peut satisfaire la démographie, il faut donc l’assortir de conditions explicites de retour au pays.
On pourrait accepter, pour cette immigration, que l’injonction « transmettre notre Histoire et défendre notre culture » ait moins d’acuité, compte tenu de son caractère temporaire.
Immigration de partage des savoirs
Cette catégorie d’immigration est clairement sous l’influence des injonctions : « favoriser la diversité », et évidemment « partager les richesses et les savoirs », sur la base d’intérêts réciproques bien compris, qu’il ne serait pas pertinent de définir au niveau national.
Là aussi, et pour la même raison de précarité, l’injonction « transmettre notre Histoire et défendre notre culture » pourrait être un peu moins obligatoire.
Immigration d’asile politique
Cette catégorie d’immigration est uniquement sous l’influence de l’injonction « respecter le Droits de l’Homme », qu’il faut entièrement repenser pour notre monde d’aujourd’hui. C’est une urgence, devant la multiplication des conflits au Moyen-Orient, aux portes de l’Europe.
En synthèse, on peut dresser le tableau suivant :
Quels enseignements pouvons-nous en tirer ?
D’abord que nos dirigeants, mais aussi plus largement nos politiques, ne posent jamais cette problématique d’immigration en des termes aussi basiques, mais pédagogiques et opératoires.
Trop souvent, ils usent d’un mélange de grands principes humanistes tétanisants, et de procédures administratives inapplicables faute de moyens, de surcroît entravées à tout moment par des associations faisant commerce de l’émotion, et prétendant remplacer grâce à la puissance de l’image la volonté nationale exprimée par la loi.
Notons en passant qu’aucune de ces associations ne se risquerait à formuler une réponse globale à l’immigration, ce que vise à faire la loi qu’elles contestent.
Au nom de ces grands principes dispensant de toute réflexion, nos dirigeants n’ont vu venir :
- ni le glissement d’une immigration d’ajustement économique à une immigration de peuplement, concernant les populations d’origine maghrébine et africaine des années 60 à 80, de ce fait trop laissées à elles-mêmes
- ni l’intrusion récente d’une immigration peu nombreuse mais prosélyte, porteuse d’un projet politique et religieux incompatible avec la République qu’elle cherche à détruire,
- ni l’approche du seuil de tolérance à la diversité pour certaines catégories de Français, déjà malmenés par la mondialisation et la construction européenne, et privés de l’écoute de leurs élites
- ni l’accélération de la tertiarisation et de la numérisation de l’économie, requérant davantage de nouvelles compétences que de nouveaux bras
Comment ne pas comprendre alors que l’irrationalité, la passion en viennent à dominer ce débat sur l’immigration ?
Ensuite, qu’il faut parler d’immigration au pluriel, avec des niveaux d’analyse et de décision totalement différents ; quel sens cela a-t-il de globaliser le besoin en étudiants étrangers d’une école de commerce ou d’un centre de recherches, avec les besoins en ouvriers de la Fédération du Bâtiment ? Alors que l’une poursuit un idéal humain à long terme, l’autre procède d’un calcul économique à court terme ?
- Proposer des solutions
On l’aura compris, la question de l’immigration doit être traitée par un système de solutions, s’appliquant aux quatre catégories d’immigration : peuplement, ajustement économique, partage des savoirs, asile politique.
Immigration de peuplement : en faire un choix issu du suffrage universel
Il existe une magnifique formule gaullienne : « le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ». Concernant le peuplement qui agit sur sa nature même, la moindre des choses est que le peuple soit explicitement consulté.
Il devrait donc être obligatoire, aux élections présidentielles, que les candidats explicitent, en fonction de leur politique économique, démographique, familiale, sociétale (préfère-t-on construire nos propres adultes, ou en faire venir de l’extérieur ?), leur conception du peuplement, qualitatif et quantitatif pour la France, et les moyens nécessaires d’accueil et d’assimilation, dans la perspective de la naturalisation.
Dès le début du mandat, une loi traduira en objectifs, programmes et budgets cette orientation.
Immigration d’ajustement économique : en faire une composante permanente du budget de la Nation
Cette immigration est totalement contingente à l’économie, et doit être examinée en détail et périodiquement.
Tous les ans, des assises de l’immigration se tiendront pour déterminer, branche par branche, qualification par qualification, les besoins en main d’œuvre extérieure et pour quelle durée ; elles associeront les dirigeants d’entreprise, les syndicats, des économistes, des sociologues et des politiques.
Ces travaux donneront lieu à un rapport remis au Parlement établissant les demandes de l’année, explicitant aussi les retours prévus aux pays d’origine de la même période. Un retour d’expérience sur les retours de l’année précédente sera également établi.
Une fois votés par le Parlement, ces besoins seront traduits en quotas d’immigration, à ce titre d’ajustement économique.
Immigration de partage des savoirs : en faire un sujet totalement délégué, avec audits a posteriori
Cette immigration doit se traiter en fonction des besoins des acteurs : universités, entreprises, laboratoires,…
Les visas à ce titre seront accordés à la vue de dossiers individuels établis sous leur responsabilité par ces acteurs, et dont ils sont garants de l’intérêt, comme de la bonne exécution : objet de l’immigration, durée, contrepartie. Seuls des audits a posteriori seront menés, dans une logique de confiance faite aux responsables.
Aucune limite quantitative ou qualitative ne sera fixée a priori à cette immigration.
Immigration d’asile politique : en refonder le sens
L’urgence en ce domaine est double :
- Redéfinir le droit d’asile, adapté à notre époque et non au 18e siècle, en se lançant dans l’élaboration d’une charte des droits de l’espèce humaine, comme le proposait un article précédent ; nous avons besoin de nouveaux fondements en la matière.
- Créer les conditions d’un traitement rapide des demandes d’asile, soit pour acceptation, soit pour retour au pays d’origine, soit pour reversement dans les autres catégories d’immigration si cela se justifie.
Ces quatre immigrations feront l’objet de visas distincts, et donneront lieu à des bilans annuels établis et publiés par le ministère concerné.
On le voit bien, la réalisation de ce programme suppose que :
- les idées soient claires sur l’évolution de l’économie, la politique démographique, le modèle de société,
- les injonctions obligatoires (lois de la République, laïcité, charité, défense de l’Histoire) soient respectées,
- que les choix du peuple se soient exprimés, et qu’ils soient mis en œuvre
Faute de quoi, la question de l’immigration restera la plaie ouverte d’aujourd’hui.
Placé au cœur de ce que nous sommes, et de ce que nous voulons être, le traitement de l’immigration donne l’exacte mesure de l’état de cohérence, de fonctionnement, de clairvoyance de la Nation.
Regardant cet hologramme de notre présent et notre avenir, montrant les réalisations, les échecs, les ambitions, les peurs et les espoirs, nous pouvons nous dire :
Si l’immigration va, tout va !
PS : je laisse ouvert le sondage sur le processus d’élection jusqu’au 7 mai… actualité oblige !
Daniel Rigaud