L’élection présidentielle est déjà dans le sillage. La formation du gouvernement aussi, bientôt la composition du Parlement.
Quoiqu’on puisse penser des attitudes des uns et des autres, des actions justes ou injustes qui ont conduit à ces résultats, on n’y reviendra pas.
Pour citer le grand Corneille, dans Cinna :
« Tous ces crimes d’Etat qu’on fait pour la couronne,
Le ciel nous en absout alors qu’il nous la donne,
Et dans le sacré rang où sa faveur l’a mis,
Le passé devient juste et l’avenir permis.
Qui peut y parvenir ne peut être coupable
Quoi qu’il ait fait ou fasse, il est inviolable »
L’essentiel maintenant est devant.
Cela va se jouer entre ces acteurs qui entrent un à un dans ce huis clos de la scène politique, et leur responsabilité est écrasante : l’avenir de la France va s’écrire.
La difficulté n’est pas sur ce qu’il faut faire : les Français ayant écarté par leur vote les options les plus clivantes, on sait désormais qu’il faut réformer et non refonder.
Et pour réformer, le diagnostic est depuis longtemps posé, les solutions connues, et même largement partagées : c’est le fondement même de la réussite du mouvement En Marche, que d’avoir su, en s’affranchissant des partis, incarner et proposer les idées majoritaires dans le pays depuis longtemps.
Ce qui est désormais critique, c’est la maîtrise du temps, et du tragique.
Celle qui a tant manqué aux Présidences « bling bling » et « normale » que nous avons subies.
La maîtrise du temps est une gageure : cinq ans de mandat, rongé à ses deux bouts par les élections législatives au début, les prochaines Présidentielles à la fin, deviennent vite quatre ans, voire moins, vraiment utiles.
Très clairement insuffisant, pour y espérer des résultats : notre processus législatif est poussif, mais surtout les sujets devant nous demandent une décennie : sécurité et défense, éducation, emploi, dette, économie, intégration, justice, énergie, écologie, Europe,… :
- 10 ans pour disposer des médecins dont nous avons besoin, à partir de la modification du numerus clausus ;
- 10 ou 20 ans pour démanteler une centrale nucléaire et retraiter ses déchets,
- 10 ou 15 ans pour amener à la vie active une génération formée autrement,
- ….
Le risque est alors immense, pour un quinquennat même bien employé, de n’avoir à son bilan que beaucoup d’efforts et peu de résultats.
La déception, puis le changement de projet politique par l’alternance électorale seraient alors inévitables, et les réformes engagées, peut-être excellentes, n’auraient plus aucune chance d’aboutir.
Pour sortir de ce piège du temps, le gouvernement aura à réussir un immense travail de pédagogie.
Faire comprendre aux Français qu’il faut abandonner le culte de l’indicateur, par facilité médiatisé à outrance tous les mois, censé rendre compte de la réduction de la dette ou du chômage. Cela n’indique rien et ne peut que « pousser au crime » un gouvernement rendu fébrile par les sondages.
Faire comprendre l’ensemble du cycle de chaque réforme, de l’élaboration de la loi, sa promulgation, son installation, jusqu’à son application, peut-être pendant plusieurs années, avant d’obtenir le résultat visé.
Faire comprendre que l’avancement nominal des étapes annoncées est le seul suivi, la seule évaluation qui vaillent,
Ça, ce sera vraiment se rendre maître des horloges, Monsieur le Président !
Le deuxième défi peut surprendre, mais il est encore plus important : maîtriser le tragique.
Notre époque distancie le tragique : la mort, la maladie, la souffrance, la violence, nous ne les supportons qu’en images. Pourtant le tragique est dans la vie, et ne s’évacue pas comme cela.
Alors pour vivre le plus en paix possible, en démocratie on a trouvé une solution : déléguer l’exercice de la violence à la puissance publique : nous la dotons pour cela de forces armées, de moyens de police, même d’investigation dans nos vies privées.
A charge pour elle d’en faire un usage légal, proportionné et efficace.
A charge pour elle de discerner, à notre place, une fois tous les recours de négociation et de droit épuisés, quel en est le juste usage quand deux parties irréductibles continuent à s’affronter.
Avec le programme de réformes annoncé, les antagonismes vont se mobiliser, et malgré les trésors de persuasion qui seront déployés, à coup sûr nous aurons de telles situations.
Et là, l’ensemble des Français se tournera vers la puissance publique, seule détentrice de l’usage de la force « l’ultime argument des rois », et lui demandera de l’exercer pour eux, trancher en leur nom ce blocage.
Ça fait partie du job du gouvernement. C’est même ce qui rend son existence indispensable.
Et si quelque chose discrédite une classe politique plus que les affaires, c’est d’avoir constamment reculé devant le risque d’impopularité, associé à un usage même juste de la force, adossé à la loi.
Refusant d’assumer le tragique qui pourrait être la conséquence de l’usage de la force publique.
Lésant au passage toute la Nation silencieuse qui se trouve trahie, humiliée, désabusée. Et toujours bloquée.
Nous avons tous en tête les réformes, les situations où la force publique devra probablement être mobilisée. Il faudra trouver alors un gouvernement à la main sûre et déterminée. Qui assume, parce que c’est nécessaire, le risque du tragique.
Il faudra que nous acceptions qu’il fasse jusqu’au bout ce job que nous lui avons confié. Avec ses conséquences.
Président, gouvernement, parlementaires, citoyens : saurons-nous tous, collectivement, assumer ce tragique ?
Daniel Rigaud