Il aura donc fallu à peine 18 mois pour que la cavalcade conquérante du Président Macron s’arrête, comme désemparée.
On est stupéfait de voir à quelle vitesse le mouvement En Marche, le plus considérable phénomène démocratique depuis longtemps en France, a été abandonné.
Un véritable uber, comme n’existant plus une fois arrivé à destination, 55 rue du faubourg Saint Honoré.
Mais aussi une véritable duperie pour ceux qui y avaient vu un levier de rénovation, de transformation de la société française. Et qui attendaient des mesures rapides et fortes, en matière d’association populaire aux décisions. Dans l’esprit du Président, en a-t-il seulement été question ?
Car au lieu de cela, s’est installé le fameux comportement jupitérien, relayé et soutenu par le petit clan des fidèles pâmés, le squad de la conquête de l’Elysée.
Macron marchait sur l’eau, et se permettait tout : Benalla, petites phrases, arrogance. Insensible aux remontrances comme aux coups de semonce.
Impavide.
L’ivresse du pouvoir, une fois de plus. Les dieux savent aveugler ceux qu’ils veulent perdre.
Pourtant, les orientations des premières actions n’étaient pas nécessairement mauvaises : suppression progressive de la taxe d’habitation, réforme de la SNCF, du Code du Travail, de la CSG… toutes réformes menées à la hussarde, sabre du verbe au clair. Sur un malentendu, parfois à l’esbroufe, c’est passé. En apparence.
Un grand bémol cependant : les nouvelles taxes arrivaient à la vitesse de l’éclair, leurs allègements ou leurs suppressions, à pas comptés. La communication présidentielle, comme un zoom, écrasait l’échelle du temps pour produire et vanter un bilan positif sur le pouvoir d’achat.
Sans chercher à saisir les subtils calculs fiscaux qu’on leur assénait, pragmatiquement, les Français ont commencé à compter ce qui leur restait en fin de mois. Et à douter.
Sur le plan international, prestations BCBG servies sur un plateau. Discours humanistes chics et chocs, au G20, à l’ONU, au Parlement européen. Du de Gaulle, si d’aventure il était passé par l’ENA et la haute finance internationale. Mais sans la moelle.
Un peu stupéfaits sur le moment, peut-être même ébranlés, les puissants de ce monde se sont vite ressaisis et ont repris leur sillon. Tous : Trump, Xi Jinping, Poutine, Merkel, les dirigeants européens.
Impact proche de zéro sur les problèmes de la planète : Moyen Orient, climat, migrations, échanges économiques, même « construction » de l’Europe.
Des figures emblématiques du gouvernement, par conviction ou par calcul, ont commencé à quitter le navire : Bayrou, Hulot, Colomb. Pas fondamental, mais pas un bon signal.
Sous ces coups, la crédibilité présidentielle s’écorne.
Et arrive l’épreuve de vérité : l’élaboration du budget 2019, le premier de plein exercice pour ce gouvernement. Le rendez-vous de toutes les promesses et toutes les ambitions, avec le taux de croissance maximum envisageable. Et là, ça ne passe pas.
La solution ? Une taxe de plus, habillée de vert, mais qui largement financera le courant, et non l’investissement sur l’écologie. On la balance sans se soucier de son acceptabilité par la population.
Et là, trop c’est trop. On connaît la suite, en jaune, qui n’est pas terminée. Loin de là.
Car nos problèmes sont intacts.
Manque de vision nationale forte et partagée.
Ingouvernabilité du pays par hypertrophie de l’appareil de pilotage : structures, règlements, effectif administratif.
Priorité accordée à l’aide sociale contre l’emploi, avec une écœurante bonne conscience : la croissance continue du nombre des repas servis aux Restos du Cœur devrait être un sujet de honte nationale.
Manque de protection de nos atouts et de nos inventions, de nos marchés, de nos fleurons stratégiques.
Immobilisme financier, sous le double effet de la peur du montant vertigineux de la dette souveraine, nouvel opium du peuple, et des contraintes des critères de Maastricht.
La différence aujourd’hui, c’est que la Macronie n’est plus un espoir. Pas plus que les autres partis.
Les brumes du « en même temps » et du « faire en sorte », habiles façons de reformuler les problèmes pour leur donner des airs de solutions, se dissipent. Et le mur est toujours là.
Au fond, le problème de la France est assez simple : à supposer qu’elle sache dans quelles directions se développer, par quels investissements passer, elle n’y parviendrait pas car son activité actuelle ne dégage pas assez de marge, et qu’elle n’a plus de capacité d’emprunt.
Un gouvernement a alors deux solutions :
- Jouer dans les règles, c’est-à-dire tailler dans ses coûts sans baisser l’activité, dégager ainsi des ressources pour investir, choisir ce qu’on peut se payer de manière cohérente (écologie, infrastructures, éducation, recherche,…), l’installer, redistribuer les résultats une fois ceux-ci produits.
Approche de cost killer classique, mille fois pratiquée en entreprise, mais qui demande courage et pédagogie (voir « Gouverner : maîtriser le temps, maîtriser le tragique », écrit ici quelques jours après l‘élection du Président Macron), et très risquée politiquement
- Jouer d’audace, en s’exonérant des contraintes posées par une économie qui après tout n’est qu’une convention chiffrée entre les hommes, et en faisant du développement individuel la boussole de l’action publique. Certains reconnaîtront le scénario développé dans le feuilleton « GROUP » sur ce site.
Le gouvernement exclut la seconde, et tergiverse sur la première. Son action devient confuse, incompréhensible. Sa crédibilité tombe.
Et là, il faut faire très, très attention. Si l’espoir disparaît, la grogne devient révolte.
Surtout lorsqu’en même temps, on stigmatise les lanceurs, en jaune, d’alertes rouges.
Daniel Rigaud
Beaucoup de recul et très bien écrit !
Pierre