Le spectacle est étonnant.
Ces derniers mois, les indépendantistes/autonomistes de ces territoires espagnol et français se sont trouvé propulsés aux commandes de leurs exécutifs régionaux, ou sont sur le point de l’être.
Toutes les convictions politiques sont respectables, du moment qu’elles observent les règles démocratiques ; cependant, parmi elles, vouloir être indépendant est certainement la plus radicale.
On s’attendrait donc à ce que leurs leaders fassent preuve d’une détermination totale, soient prêts à tout y compris à l’insurrection populaire et à ses violences.
Au lieu de cela, ils tergiversent, manœuvrent, édulcorent. Ils se laissent arrêter ou fuient à l’étranger. Donnent l’impression que le corps électoral est en train de leur faire une sale blague en les sortant de leur opposition confortable, et en leur disant : « allez-y ! »
Les élections de Corse, le référendum de Catalogne, ont en commun des abstentions record. Et cela participe d’un mouvement de fond qui ronge nos démocraties depuis des dizaines d’années.
Ce n’est pas tant l’idée d’indépendance qui gagne, mais l’idée de Nation qui régresse. La Nation n’apporte plus assez de valeur aux territoires : développement, éducation, sécurité, justice. Les zones abandonnées se multiplient, au gré d’arbitrages économiques simplistes, ou d’une application dogmatique des libertés individuelles. L’imaginaire national ne fait plus rêver : en Europe, qui peut s’approprier avec fierté les positions de son pays prises sur la scène internationale ?
Cette régression des Nations est au cœur du grand projet de mondialisation : leurs spécificités, leurs langues, leurs coutumes sont autant de freins à la fluidité des échanges économiques mondialisés ; c’est donc avec constance que l’Union européenne s’attache à les gommer, à retirer un à un les degrés de liberté des gouvernements des Nations, tout en se gardant bien de développer un projet européen qui pourrait à son tour devenir un obstacle aux échanges mondialisés des personnes, des biens et des services.
Oui, mais voilà : ça ne convient pas aux peuples. Ils n’ont pas envie d’être anonymisés dans une foule de 500 millions d’Européens sans idéal tangible, ni identité, ni politique. Leur identité, c’est une fierté, un trésor immatériel qu’ils ne veulent pas perdre. Ils prêtent alors davantage attention à ce qui leur reste, c’est-à-dire leurs racines, et à ceux qui leur en parlent.
Les indépendantistes ou autonomistes feignent de se réclamer de l’Europe, mais ils sont au fond d’eux-mêmes bien conscients que leurs particularismes pèseraient bien moins s’ils s’affranchissaient des Nations qui les défendent avec force sur la scène européenne. Quand la France se bat pour une appellation d’origine pour la charcuterie ou le fromage corses, ce sont 67 millions d’Européens qui la demandent.
Que pèserait demain la Corse seule dans l’Europe, avec sa population équivalente à Nice ? imagine-t-on le corse ou le catalan langues européennes ?
Si elle se poursuit, cette situation de division, d’émiettement et de future disparition des Nations européennes serait momentanément le triomphe des tenants de la mondialisation de l’économie.
Mais momentanément, car ce serait oublier que les Nations ont réussi au cours de l’Histoire, à conjuguer, sublimer les particularismes régionaux, en se faisant unité d’appartenance partagée, significative mais à taille humaine, permettant le développement individuel et culturel que l’on connaît.
Les Nations une fois disparues, les vieux clivages, les anciennes querelles referont surface, et généreront conflits sur conflits.
L’Europe n’aura de justification aux yeux des peuples que si elle sait à son tour inventer, incarner un idéal prolongeant, magnifiant même les Nations qui la constituent. Et non chercher à les niveler.
Peut-être est-ce impossible.
Ayons alors la sagesse de nous en tenir à une Europe des Nations, partageant des intérêts et une empathie particulière : ce sera déjà bien !
Daniel Rigaud