Cela ne semble jamais devoir cesser.
Vagues après vagues, les réfugiés syriens, irakiens, érythréens,…. débarquent sur les rivages européens du sud ou traversent en rangs serrés les frontières de l’Europe de l’Est, fuyant les situations de guerre et de misère.
La croissance de leur nombre a de quoi donner le vertige : multiplication par 6 entre 2012 et 2015, pour dépasser le million en 2015. Un niveau jamais atteint et que rien ne semble devoir ralentir dans les prochaines années.
Cette accélération était hautement prévisible : mois après mois, nous avons assisté sans réagir ni anticiper au submergement du Liban et de la Turquie par ces mêmes réfugiés, jusqu’à franchir le seuil de l’intolérable.
Les guerres du continent africain ou des Balkans ont longtemps constitué le bruit de fond de ce flux contraint de déracinés, naufragés de la violence humaine ; mais depuis deux ou trois ans, les situations de conflit en Syrie et en Irak, l’irruption de Daech en ont poussé à fond les potentiomètres.
La situation de la Syrie et de l’Irak est connue, résultat du mélange infernal de guerre civile contre une tyrannie, lutte d’influence est-ouest, guerre religieuses inter musulmane, avec en prime une résurgence d’une organisation fanatique sortie tout droit de la barbarie moyenâgeuse.
Ces malheurs déferlent sans rencontrer de résistance sur ces pays et arrachent à leur terre leurs habitants qui n’ont d’autre choix que partir ou mourir.
Dans l’Histoire pourtant, ces exodes n’ont rien d’une fatalité ; plus d’une fois, les peuples opprimés ont su prendre les armes contre des tyrans au pouvoir, ou trouver le chemin de la paix après des années sanglantes de guerre civile ou religieuse. Ils ont su, dans la douleur et dans les deuils, trouver comment rester ancrés, les pieds dans leur patrie, et créer les conditions d’une vie en bonne intelligence.
Pourquoi y sont-ils parvenus ? Quels ont été les déclencheurs, les ressorts de leur mobilisation ? Et pourquoi ces ressorts ont-ils manqué aux Syriens, la communauté internationale ayant pourtant tenté, mais en vain, de coaliser une opposition forte à Bachar-el-Hassad ?
Face à cela, exposée parce que voisine et en paix, l’Europe donne le navrant spectacle d’une double inconsistance : celle de sa politique de frontière, élément pourtant essentiel pour gérer sa relation au monde ; celle de sa politique étrangère au Moyen-Orient, essentielle aussi pour une aussi proche partie du globe.
Là non plus, il n’y a pas de fatalité à cela ; la Chine, les Etats-Unis, l’Inde ou la Russie, ensembles humains de taille comparable à l‘Europe, ont des politiques claires et les appliquent avec cohérence. Que nous manque-t-il, à nous Européens, pour faire de même ? Pourquoi faut-il que la politique européenne sur ces sujets n’avance qu’à coups de sursauts compassionnels, à partir de photos racoleuses sur les malheurs et les deuils des réfugiés ? Faute d’avoir de telles convictions, une fois de plus, on traitera sans doute l’effet et non la cause….
Et si ces deux événements qui se télescopent devant nous n’avaient pas la même explication ?
Les Syriens et les Irakiens fuient leurs pays parce qu’il ne se trouve pas un nombre suffisant de patriotes à défendre quoiqu’il leur en coûte une conception du vivre ensemble, et que les logiques de survie individuelle prennent le pas sur toute autre considération.
L’Europe balbutie ses politiques parce qu’il ne se trouve pas un nombre suffisant d’Européens, et de dirigeants européens, pour avoir une idée forte de ce qu’est l’intérêt commun de l’Euroland concernant ses frontières, ses relations avec le Moyen-Orient, et encore moins l’éthique et les valeurs à appliquer sans faillir dans ces circonstances .
Dans l’un et l’autre cas, ces convictions n’existent pas parce que les événements de l’Histoire n’ont pas forgé un peuple, une identité culturelle, géographique, sociale suffisamment fortes. L’Europe est une mosaïque de peuples qui ont des Histoires magnifiques, parfois les uns contre les autres, mais pas une Histoire qui les rapprocherait tous.
L’Irak, la Syrie, pays de protectorats, de colonisations multiples et ouverts à tous les appétits économiques étrangers, pas davantage.
Ce sont deux SDF de l’Histoire, perdus, sans conviction ni direction, qui titubent et zigzaguent sous nos yeux. Avec de considérables gâchis humains et financiers à la clé, et pour encore longtemps.
Daniel Rigaud