Election après élection, le système de primaires de parti gagne donc du terrain en France, sous l’impulsion enthousiaste d’une partie de la classe politique. Celle-ci vante ce moyen de désigner un champion en toute transparence, par un vote démocratique ; ce qui aurait l’avantage de faire taire les querelles de courant, et de garantir les soutiens nécessaires au candidat désigné.
Auparavant, on aurait pu se demander si ce système répond vraiment à une attente de l’électorat, dont la liberté de choix se réduit alors que l’abstention grandit.
Ou, à voir le Président actuel, si choisir entre des candidats d’appareil conduit infailliblement à désigner comme Président un homme d’Etat.
Ou encore, à voir le spectacle des déchirements internes de l’équipe au pouvoir, si le gouvernement de la Nation y gagne en efficacité.
Mais non. La réalité, c’est que ces questions ont de moins en moins d’importance, parce que le politique n’est plus en prise avec une réalité qu’il se révèle de plus en plus incapable de transformer. Ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a plus de décideurs pour les affaires du monde : mais ils sont ailleurs, hors contrôle citoyen, loin du halo de lumière médiatico-politique : regardez l’exemple du CETA.
L’inefficacité dans la mise en application des lois, ou dans la conception d’un futur national, éclate à tous les étages de l’Etat; un clandestin soudanais, un zadiste libertaire écolo, un dealer cagoulé, imposent la violence de leur illégalité Boulevard des Flandres à Paris, à Notre-Dame des Landes ou à Viry-Châtillon, narguant la légalité républicaine disposant pourtant de la force publique.
Signe frappant de ce désabusement, le Président lui-même se comporte bien plus en spectateur épaté, ou chroniqueur irresponsable, qu’en acteur déterminé de sa propre fonction.
Mais allons plus loin dans l’analyse, remontons vers la source de ces dérives.
Depuis qu’il existe, l’activité du monde médiatique se structure principalement autour de trois piliers : l’événementiel (type match de foot), l’information, et le divertissement. Ils s’adressent respectivement à l’émotion, à la réflexion, à l’étonnement.
Ce dernier genre (le divertissement, ou entertainment) s’adressant au plus facile de l’esprit humain, réalise de ce fait plus aisément de l’audience : cela n’a pas échappé aux grands groupes financiers qui s’emparent des média dans les années 80 (Murdoch, Berlusconi, ….), et vont pousser le genre à ses extrêmes pour en tirer les plus grands profits possible, par les spots publicitaires des annonceurs à qui ils assurent du « temps de cerveau disponible » placé en mode réceptif passif. Pour développer cette dépendance, les emblématiques émissions de téléréalité ne se refuseront aucune transgression pour « scotcher » le public : vulgarité, insultes, exhibitions en tous genres.
Mais cela ne suffisait pas : puisque le business model était lucratif, il fallait l’étendre aux autres domaines média.
C’est ainsi que l’événementiel, et principalement le sport, s’est peu à peu fait envahir par les codes (je n’ose pas dire les valeurs) de l’entertainment : starisation des présidents, joueurs et entraîneurs, déclarations et commentaires montés en battle pour faire le buzz, « affaires » périphériques sulfureuses prennent plus d’importance pour faire consommer de l’espace médiatique que le contenu sportif lui-même. Aujourd’hui, le rugby se revendique comme spectacle, et les commentateurs en sont à s’excuser des temps morts des mêlées, justement pas assez spectaculaires !
C’est aussi ainsi que l’information s’est peu à peu éloignée de l’analyse des faits, de la recherche et de la proposition d’une compréhension des images : place au superficiel, à l’émotion, à l‘instant, ne demandant au consommateur de média, comme au journaliste, qu’un Q.I. de poisson rouge.
Prenons un exemple récent : le démantèlement de la « jungle » de Calais, 5 ou 6 000 personnes évacuées, ce n’est pas rien. De quoi nous parle-t-on ?
Du nombre de bus d’évacuation. De la couleur des bracelets pour la répartition dans les centres d’accueil. De la « jungle » qui se vide rendant nostalgiques les associations qui perdent leur fonds de commerce. Et des clandestins qui continueront à se cacher pour aller en Angleterre.
Mais ce scandale de la « jungle » de Calais, comment est-il arrivé ? Va-t-il recommencer? Quelles en sont les causes, qu’a-t-on entrepris pour les supprimer ? Parmi ces 6 000 personnes, combien de vrais et de faux réfugiés ? Comment vont-ils être traités administrativement dans leurs centres d’hébergement ? Les nécessaires reconduites à la frontière seront-elles effectives ? Rien sur ce qui pourrait informer le citoyen sur la vue d’ensemble, rien sur la manière dont sa volonté collective exprimée par ses lois est correctement mise en œuvre par ses représentants !
De même, l’information devient sujet de dérision ; les humoristes remplacent les journalistes, grossissant un trait ou déformant une phrase, pour en tirer un effet comique ; l’information n’est plus objet à analyser pour avancer, mais matière première à triturer pour divertir. Le contenant prend le pas sur le contenu, qui peut être médiocre sans inconvénient. Et tant pis pour la vérité, cet encombrant concept prétendant à la durée.
Mais ce n’est pas encore assez.
Il y a là la vie politique, avec ses acteurs égocentrés tellement avides de reconnaissance, ses évènements forts et réguliers, et tous ses sujets de querelle à fleur de peau… un vrai « caviar » pour le divertissement!
Alors la machine à entertainment s’est mise en marche, avec son 1er épisode de la saison 1 : le face-à-face au 2ème tour des Présidentielles de 1974, le 10 mai. Et n’a cessé d’accélérer depuis : petites phrases assassines en interview, pipolisation des politiques, généralisation des tweets d’humeur, propos grossiers, confidences sur des sujets secret défense pour faire l’intéressant….
Et dans ce grand mouvement, l’émergence des primaires vient plein axe.
Elles installent en position de combat des candidats aux programmes finalement assez peu différents, qui vont donc s’affronter sur l’accessoire : mesures de gestion proposées, vieux dossiers, faux-pas de meeting, surenchères sur les évènements, âge du capitaine,…
Elles donnent l’occasion de décupler les contenus : émissions de débat, entretiens, commentaires de soi-disant experts,…
Et ce faisant, elles contribuent à enlever toute consistance au contenu politique, puisque la parole d’un candidat doit se plier aux codes de l’émission d’entertainement : questions polémiques et superficielles, invités agressifs, sondages de popularité hâtifs, et même à la fin dérision sur l’intervention par un humoriste patenté !
Mais que peut en retirer de bon un futur électeur ? Quelle sera la qualité de sa décision devant l’urne, s’il y va? Quel respect, quelle confiance aura-t-il dans ces candidats qui acceptent tout pour « passer à la télé », dans une émission de bas étage mais à forte audience ?
Il faut stopper d’urgence cette dynamique avant de n’avoir plus, comme aux Etats-Unis, que des candidats showmen de téléréalité, shootés en permanence aux sondages, donnant des Présidents fantoches.
Nous avons besoin de politiques forts, car ce sont eux qui ont le rôle de nous défendre : mode de vie, éducation, santé, bien-être, sécurité, culture, mais aussi rêves et ambitions. Et tout particulièrement en ce moment.
Si nous ne sortons pas maintenant la politique des griffes de l’entertainment, demain les candidats aux Présidentielles seront sélectionnés par des sociétés de production, comme pour Koh-Lanta ou Secret Story. Et sponsorisés par Nike, Coca-Cola ou Goldman Sachs.
Exigeons que les programmes des candidats répondent à un cahier des charges unique : le nôtre, construit sur nos questions concrètes de citoyens.
Exigeons que ces programmes se limitent à quelques pages formatées, leur faisabilité financière étant certifiée par un organisme neutre ; cela suffit pour apprécier les différences.
Epurons les campagnes présidentielles, à une ou deux émissions de présentation de son programme par le candidat en personne, et à des meetings payants ; cela suffit pour jauger une personnalité, à un coût optimisé.
Et passons-nous de l’entertainment en politique, entremetteur pervers narcissique, aux codes inappropriés.
Daniel Rigaud