Jusqu’à quand, Catilina, abuser de notre patience ?
Nous voici en plein dans une nouvelle élection, venant scander une nouvelle fois notre vie démocratique.
Et les sondages ont fleuri, plus ou moins objectifs, plus ou moins instrumentalisés, plus ou moins justes, annonçant que tel ou tel parti est en tête, qu’un autre est promis à une claque monumentale.
Et chaque état-major de parti de supputer son nombre d’élus, en fonction de ces prévisions et des alliances ou des accords qu’il peut encore nouer.
Mais une bataille majeure pourtant ne semble intéresser personne du microcosme politique : l’abstention aux cantonales dépassera-t-elle celle aux élections européennes ? Atteindra-t-on 50, 51% d’abstentions ? Plus ?
Depuis 1961, la démocratie sur les cantonales a perdu 13% de ses électeurs. Sur les législatives (depuis 1958), 17%. Les régionales (depuis 1986) 31%. Sur les européennes (depuis 1979), 18%. Les présidentielles (depuis 1965), 5%. Sur les municipales (depuis 1959), 11,25%. Le mouvement est général, d’ampleur, et constant. Son message est éclatant, sans interprétation ni faux-fuyant possible : de plus en plus la politique sous sa forme actuelle indiffère, ou désespère.
Mais parions cependant que comme d’habitude, nous n’aurons droit dimanche prochain qu’à quelques commentaires éplorés de journalistes ou de leaders politiques, vite oubliés pour revenir à leurs jeux favoris d’appareils.
C’est pourtant la légitimité même de ce personnel politique qui est en jeu, et au-delà des cas personnels, le sens de notre représentation démocratique qui est menacé.
Alors intéressons-nous à leur place au sujet, et cherchons les causes de cette désaffection populaire, et quels pourraient être les remèdes.
L’engagement politique n’est pas lisible
Le fondement de la démocratie, c’est le mandat : les électeurs confient à quelques-uns d’entre eux la gestion et le règlement de sujets collectifs, et plus généralement de développer et porter un modèle sociétal.
Le premier hiatus est là : quel est le mandat qui est confié aux élus ? que leur demande le peuple ? Ce premier point n’est souvent pas clair.
Les candidats ou les partis essayent de deviner les attentes des électeurs, par sondages ou tout autre moyen, et composent des programmes censés y répondre ; cette approche conduit à des catalogues de mesures, sans projet d’ensemble ; la promesse, si elle existe, est multi-catégorielle, superficielle, sans colonne vertébrale. Tellement touffue qu’elle n’est ni compréhensible, ni crédible. La décision de vote se prend alors sur la présence ou non d’une micro-mesure, la bonne tête du candidat, l’habitude….
Que peut-on construire ainsi de consistant et de crédible ?
Le retour sur la réalisation de la promesse électorale est inopérant
A la fin d’un mandat le citoyen électeur s’attend légitimement à pouvoir savoir s’il a eu raison de donner sa confiance, et si le bien public a été correctement géré.
Indépendamment de la taille de la collectivité gérée (Commune, Département, Région, Nation), cet exercice est visiblement impossible ; il n’est d’ailleurs en aucun cas prévu par les textes. Lorsqu’ils portent là-dessus, les débats de fin de mandat et pré-électoraux tombent immédiatement dans la présentation partisane des chiffres qui arrangent, suscitant polémiques et indignations théâtrales… au mépris de la demande de base du citoyen, qui voudrait se faire une idée juste, pour donner du sens à son vote prochain.
Comment ne pas comprendre que ce même citoyen en vienne à se dire qu’on se moque de lui ?
L’impuissance du politique est de plus en plus évidente
Quelle que soit sa conviction politique, comment ne pas s’étonner qu’un parti arrivé au pouvoir en France en 2012, disposant de larges majorités à l’Assemblée Nationale, dans les Régions, les Départements, le Sénat, ne soit pas capable de pousser avec vigueur ses réformes et redresser le pays?
Un facteur d’explication peut tenir à la personnalité du Président élu, plus politicien manœuvrier que visionnaire stratège. Soit.
Mais deux autres facteurs interviennent puissamment :
- la démultiplication des niveaux de pouvoir, d’abord de droit dans des strates territoriales ou administratives de plus en plus touffues, ou de fait par l’action d’associations ou de mouvements exerçant des pressions illégales sans susciter la réaction des pouvoirs publics garants pourtant de l’intérêt général
- l’influence occulte des milieux économiques ou de grands groupes mondiaux, capables de faire reculer un gouvernement sur des questions où pourtant la santé des citoyens est clairement en jeu : alimentation, médicaments, tabac,….
Le citoyen voit ses élus se plier à des injonctions venues d’ailleurs, il ne sait pas très bien d’où, mais en tout cas pas de lui ! Comment pourrait-il en attendre quelque chose ?
Le champ du choix démocratique ne cesse de se réduire
Le mouvement peut paraître lent mais la ligne est constante.
On a d’abord réduit le mandat présidentiel du septennat au quinquennat, jumelant cette élection présidentielle aux législatives, arguant que cela renforcerait l’efficacité de l’action politique, les électeurs donnant mécaniquement une majorité parlementaire au Président qu’ils viennent d’élire.
Nous avons donc eu cette configuration, de droite comme de gauche ; avons-nous constaté les effets bénéfiques promis?
N’a-t-elle pas plutôt privé les électeurs de dire, en cours de mandat présidentiel, leur sentiment sur la politique menée ? N’a-t-elle pas créé une barrière étanche entre les électeurs et leurs députés, élus sous le parapluie présidentiel, et intouchables quoi que fasse le gouvernement ? N’a-t-elle pas conduit les Présidents successifs à descendre dans l’arène, jusqu’à traiter personnellement, et mal, des sujets minuscules, au lieu de porter une vision ?
On a ensuite développé un système de primaires pour l’élection présidentielle au sein des grandes formations politiques, en nous le présentant comme une grande avancée démocratique.
Mais de quoi s’agit-il ? Principalement, de régler les problèmes d’ego entre « candidaillons » dont la bonne opinion qu’ils ont d’eux-mêmes n’est surpassée que par le mépris ou la jalousie qu’ils ont de leurs concurrents, appartenant pourtant à leur famille politique.
Passe encore l’idée aberrante et scandaleuse de ce processus électif à deux vitesses, où quelques centaines de milliers de citoyennes et de citoyens, parce qu’ils sont encartés, vont imposer au corps électoral dans son entier les candidats éligibles.
Mais surtout, l’effet sur la qualité de la gouvernance qui s’ensuit est désastreux :
- les ego des candidats à la primaire, loin d’être apaisés, en sortent au contraire exacerbés, et arriveront plus que jamais remontés au sein du gouvernement qui sera formé, puisqu’ils en feront évidemment partie, avant d’en partir tôt ou tard avec éclat.
- le candidat gagnant est celui le plus expert dans le fonctionnement, voire la manipulation d’un parti politique ; c’est cet ADN-là qu’il installe à la tête de l’Etat, un ADN de politicien habile au compromis, capable de durer dans l’inaction, incapable d’avoir et de concrétiser une vision.
Comment l’électeur pourrait avoir confiance dans un système qui une fois de plus nie et réduit sa légitimité, et propulse au pouvoir des dirigeants inadaptés à la plus haute des fonctions ?
Un monde politique qui vit très bien sur lui-même, merci
On pourrait penser qu’un élu aurait à cœur de se comporter en citoyen particulièrement exemplaire, par respect pour sa fonction et pour mériter l’estime de ces mandants. Il n’en est malheureusement rien.
Sur le plan individuel, nous ne cessons de découvrir des comportements d’élus ou de ministres indéfendables sur le plan fiscal, administratif, moral ou même judiciaire. Cas isolés, nous dit-on, promptement punis… qu’en savons-nous vraiment ? combien encore de cas aujourd’hui insoupçonnés ?
Sur le plan collectif, les députés se sont accordé un régime hautement dérogatoire sur le plan des impôts et des cotisations sociales, particulièrement choquant pour le citoyen : IRFM défiscalisée, 5 ans d’indemnités chômage en cas de non réélection,….
Comment un électeur ne se sentirait-il pas exclu de ce petit monde de privilégiés de la République, véritables professionnels de la chasse aux postes et aux honneurs, bien avant de songer à être le représentant de ses électeurs ?
Sans tomber dans le « tous pourris », ces cas ne sont-ils pas révélateurs d’un état d’esprit d’un groupe humain qui se considère au-dessus des lois, se dispensant de solidarité avec la Nation, ou même son électorat ?
Voilà pour les facteurs d’explication du désamour démocratique. La situation est grave, et se dégrade ; elle est porteuse de situations de violence si on n’y prend pas garde.
Rien n’est irrémédiable ; nommer ses maux, c’est déjà à moitié les soigner. Nous développerons dans de prochains articles les remèdes possibles.
Les solutions existent : la consistance des programmes répondant aux demandes des citoyens (pas de quelques coteries financièrement ou idéologiquement influentes), l’engagement collectif d’une majorité, d’un gouvernement et d’un Président sur des résultats, des catégories de sujets dont le peuple pourrait s’autosaisir sans enjeu politique….
Rien n’est plus normal que de demander des comptes avec des enjeux significatifs à la clé, pour des élus à qui on confie un pouvoir considérable
Tout ceci n’a rien d’une utopie ; des gouvernements ailleurs dans le monde annoncent ce qu’ils font, et le réalisent. C’est possible
Qu’attendons-nous pour revendiquer notre dû citoyen ?