Les premières mesures du gouvernement arrivent avec, il faut le saluer, un respect novateur des délais qui l’honore. Laissons de côté la moralisation de la vie publique, pure opération de communication, en tout cas sans effet notable sur le budget ou sur l’économie, et intéressons-nous au paquet fiscal et droit du travail, à effet autrement plus conséquent, et à ce qu’on entend des négociations.
Une brève de juin sur Conjoncture 4.0 (Gouverner : maîtriser le temps, maîtriser le tragique) évoquait déjà la nécessité pour le gouvernement de faire un énorme travail de pédagogie pendant ce nouveau quinquennat. En cette matière l’innovation, disruptive comme il se doit, reste aux abonnés absents.
- Prenons la taxe d’habitation et la CSG : les deux points majeurs débattus, c’est que les retraités « aisés » vont y perdre, et que les collectivités locales demandent de compenser cette perte de ressources
- Prenons l’ISF : le changement d’assiette décidé est aussitôt traité de « cadeaux aux riches » et comparé défavorablement aux autres mesures fiscales concernant les plus pauvres
- Prenons les ordonnances sur le droit du travail : peu de mouvement finalement, à part une petite montée en température des routiers et de quelques catégories de fonctionnaires se sentant mal aimés du gouvernement.
Face à cela, quelle est la réponse du gouvernement ? Il étale. Il compense. Il moyenne. Il colmate. Il fait des exceptions, comme pour les routiers ou pour les dockers, en toute discrétion, avant que les mouvements ne s’étendent.
Mais il passe. Pour le moment. Où est donc le problème ?
Le problème, c’est qu’une fois de plus on passe à côté d’une occasion de vrai partage des enjeux.
Le problème c’est que le débat qu’on nous sert consiste à savoir si les uns ont autant que les autres, et si M. Macron est le Président des riches.
Consternant de schématisation et de stupidité. Un peu comme si on voulait piloter une centrale nucléaire en ne regardant les flux que d’un tuyau rouge (ce qu’on donne aux riches) et d’un tuyau bleu (ce qu’on donne aux pauvres) pris au hasard, avec en postulat que leur équilibre est le secret de la performance.
Les vrais sujets d’économie ne sont pas là ; il semble qu’en France nous en ayons trois:
- Notre économie n’est pas suffisamment dynamique, ou suffisamment efficace pour utiliser toute notre population active, avec son niveau de formation tel qu’il est, et permettre de réduire notre endettement, malsain parce qu’il finance du fonctionnement et non de l’investissement,
- Notre capacité à prendre des positions fortes dans ces nouvelles industries et services issues du Big Data, appelées à jouer un rôle encore plus structurant que la sidérurgie, la machine à vapeur ou les moteurs à explosion du début du XXe siècle
- Une inégalité entre les très riches et les très pauvres qui croît depuis plusieurs dizaines d’années, et qui a toujours été, avec sa révélation publique, le détonateur des révoltes et des révolutions ; ce sujet n’est pas propre à la France, l’enrichissement de quelques-uns étant la constante de la mondialisation à l’œuvre, mais n’y est pas absent.
Notre gouvernement, notre classe politique, les média devraient acter l’importance de ces sujets, et débattre, non d’un vain équilibre arithmétique des mesures fiscales et sociales prises, mais de l’effet global qu’elles produiront sur la vigueur et la pertinence de l’économie, et l’équité des rétributions. Arrêter de chercher à nous faire croire que le doigt est plus important que la lune qu’il montre.
Les riches ne sont pas devenus riches parce qu’on leur aurait fait des cadeaux fiscaux ; ils ne le seront pas moins si on les leur enlève. Ou si peu. Ils étaient riches avant. Ils peuvent être riches ailleurs. Plus que jamais. Voulons-nous qu’ils aillent investir chez nos concurrents ? Ou comptons-nous leur couper la tête avant qu’ils ne le fassent ?
Tous ces faux débats schématisants, mille fois entendus, assoupissent l’opinion et finalement laissent le champ libre à tous les abus. Serait-ce leur but ?
Ce serait une forfaiture contre la démocratie.
Faire partager les enjeux, faire comprendre les raisons des choix que fait un gouvernement pour les gagner (sans viser une adhésion totale, évidemment hors de portée), serait une brillante disruption pour tout gouvernement. La France la mérite.
Daniel Rigaud