Au train où vont les choses, la Chine deviendra rapidement la première puissance mondiale toutes catégories confondues : population, PIB, innovation, croissance et pourquoi pas un jour armée, niveau de vie, mode, longévité.
La pénurie de beurre en France, notamment due à l’appétit devenu solvable des Chinois pour ce produit, est un signal faible mais révélateur du renversement des flux économiques en cours.
Quelque part, ce qui s’y passe prend peu à peu la forme d’un futur proposé au monde, comme pouvait l’être le « way of life » américain dans la deuxième moitié du XXe siècle : on le prend ou non, totalement ou non… mais clairement, cela devient un élément de référence.
Serait-ce pour ne plus jamais perdre la face ? Avec 170 millions de caméras, la Chine est à la pointe de la vidéosurveillance, et la reconnaissance faciale qu’elle permet.
Quelques-unes de ses applications ? Suivre les déplacements de chaque citoyen, déjà surveillé à tout instant par son smartphone. Repérer les infractions routières et envoyer automatiquement les contraventions. Détecter les comportements suspects : habillement, allure, comportement. Afficher dans la ville le visage du fautif, assorti sans doute de commentaires stigmatisants. Tout cela établi par des algorithmes déterministes.
Mais ce n’est pas tout.
Les autorités chinoises réfléchissent à attribuer un capital de points à chaque citoyen, des points qu’il pourrait gagner ou perdre selon son comportement : aider un aveugle à traverser, ou griller un stop, tout cela pourrait être tarifé, hiérarchisé, compensé.
Il reste encore à préciser ce qu’il advient quand on a perdu tous ses points : est-on pendu par les pouces ?
L’idée sous-jacente en tout cas, mérite qu’on s’y arrête deux minutes : elle propose d’établir et de régir un ensemble de comportements de référence totalement extérieur à l’individu, d’en établir une fois pour toutes les valeurs relatives, d’exercer des sanctions sans jugement contradictoire ni réparation pour la victime. La morale individuelle n’a plus lieu d’être, le système y pourvoit.
Plus besoin de capacité de jugement, de liberté de choix, qui donne sa noblesse à une action de générosité ou d’entraide : seul votre capital de points vous dira infailliblement si vous pouvez être fiers de vous.
Bien sûr tout cela ne nous arrivera pas. Ce sont des Chinois.
En sommes-nous si sûrs ? L’histoire, l’actualité nous rappellent sans arrêt la fascination qu’exercent depuis toujours les puissants, même prédateurs, sur celles et ceux qui rêvent de le devenir.
Et si pendant que ces puissants oublient leur humanité, nous, nous renonçons à « nous exister », qui arrêtera l’installation d’un si bel instrument de domination?
Daniel Rigaud
Ah, Daniel ! Je soutiens que le plus grand prospectiviste a été et est Aldous Huxley, aidé par quelques puissants psychotropes: son Meilleur des mondes n’est pas une contre-utopie, c’est ce qu’il pensait être la seule façon viable de faire vivre une population de plusieurs milliards d’êtres humains, d’une part, et la suite nécessaire du processus de prise du pouvoir par une oligarchie omnipotente…
D’ailleurs mon dernier roman, « La fin des Temps », explore les conséquences des déséquilibres actuels et croissants.
J’ai grand plaisir à te lire, cher Daniel. A te revoir un jour prochain…
Malheureusement, on n’est plus dans la littérature. Le futur de cet article est déjà présent en Chine. Pour obtenir un crédit ou pour recevoir une allocation, il est devenu indispensable dans le réseau social We Chat en Chine d’avoir une position (note d’évaluation) assez haute. Et cela conditionne aussi votre réseau dont les accès et initiatives sont conditionnés par votre « rang ».
Mon cher Jean,
Pouvons-nous encore faire que ce cher Aldous se trompe? Je l’espère en tout cas, je le crois même, si nous arrivons à nous projeter dans l’avenir sans croire nécessaire de perdre au passage notre héritage humain…
Je suis heureux de tes commentaires toujours sagaces, à bientôt porte toi bien !
Merci de tes précisions, Benoît, je ne les connaissais pas et elles font froid dans le dos… Je trouve étonnant que ces mesures de « cotation citoyenne » ne lèvent pas plus de débat que cela chez leurs « bénéficiaires »….