Depuis l’intervention du Président du 13 avril annonçant la date de déconfinement, les conditions se précisent, en France comme un peu partout, en Europe et dans le monde.
Il y aura beaucoup à dire dans quelques semaines ou quelques mois sur cette folie qui a emporté l’Humanité, en tout cas sa partie à portée de médias.
Il y aura à se demander comment en France on a pu penser, en haut lieu, qu’on pouvait faire la « guerre » avec comme principes la transparence, l’expertise, et les bons sentiments, de ceux qui font applaudir les bonnes âmes, à heures fixes.
Il y aura à faire la part de ce qui relève de l’ignorance et de la naïveté profondes chez nos dirigeants, ou de la manipulation assumée, visant à apeurer et infantiliser sa population pour mieux la maîtriser, à coups d’injonctions paradoxales et de menaces subliminales, comme le ferait une dictature.
En attendant, le déconfinement arrive.
Rappelons qu’au fil de ces semaines savamment ou ingénument rendues anxiogènes, les experts sont venus faire part à pleines antennes de leurs convictions, de leurs conflits d’ego, aussi de leurs doutes, dans le meilleur des cas.
Les volte-face gouvernementales, cruellement mises en scène sur les réseaux sociaux, ont illustré ces errements, en fléaux de balance affolés.
Il n’y a aujourd’hui concernant ce virus, aucune certitude, ni même consensus, ce qui serait un moindre mal, mais pas une garantie. Et cela n’a rien de choquant : ce virus est nouveau, il faut du temps pour l’étudier et le combattre. Au moins deux ans, mais peut-être vingt.
Il faudrait laisser la science travailler, rendre ses débats et ses recherches aux coulisses qu’elles n’auraient jamais dû quitter. Ne surtout pas lui faire dire plus qu’elle n’en sait, ce que font beaucoup trop de ses représentants. Ah, l’irrésistible fascination des plateaux et des micros….
Malgré cet état d’incertitude, le gouvernement semble vouloir répondre à tout. Rassurer par l’arsenal des mesures prises, après avoir fait monter excessivement l’inquiétude et largement ignoré la face économique du problème, le chômage partiel étant tout au plus une mesure sociale palliative.
Ce déconfinement a donc maintenant sa partition.
63 pages de protocole sanitaire applicables à toutes les écoles de France. 60 fiches sanitaires pour tous les métiers de l’économie. Une foison de mesures qui font s’arracher les cheveux aux responsables (maires, enseignants, dirigeants d’entreprise,….) : sous leur poids, comment encore socialiser et enseigner ? Ou pour les entreprises, être viables économiquement, en travaillant à demi-régime ?
Mais veut-on rassurer, ou bien se couvrir ?
Rassurer ? L’Etat en tout cas n’y parvient pas : presque 2 Français sur 3 sont inquiets et ne font pas confiance au gouvernement pour déconfiner : il y a là-dedans un peu d’effet d’aubaine sans doute, facilité par l’occultation gouvernementale de la dimension économique ; mais surtout une crainte profonde, irraisonnée, devant un risque santé rendu terrifiant, et l’incapacité perçue de réaliser tout ce qui est demandé pour s’en préserver.
Se couvrir ? Si on oublie une seconde l’absence de certitudes scientifiques censées en être la base, ces fiches et protocoles sont certainement exemplaires: ceinture, bretelles et parachute. Les services de l’Etat ont bien travaillé ; de leur point de vue, on ne peut, on ne pourra rien leur reprocher. Ne sachant rien, ils se prémunissent de tout.
Juste que l’essentiel semble oublié : ces directives sont-elles applicables, sans transformer nos vies en enfer ? Quand on se veut Etat-Providence, c’est pourtant la résolution du problème qui compte, pas la préconisation.
Mais non. La réalisation est laissée à la charge de chacun, sous sa responsabilité. Chacun commence d’ailleurs à en être subtilement menacé :
- le 7 mai, si les résultats sanitaires (calculés comment ?) ne sont pas bons, ce sera la faute de nos comportements, et le déconfinement sera reporté,
- les parents enverront leurs enfants à l’école sous leur responsabilité (volontariat, toutefois sous pression croissante de retour au travail),
- la responsabilité des maires ou des dirigeants en cas d’application imparfaite des consignes du protocole sanitaire est soulignée lourdement (loi Fauchon) par le Premier Ministre au Sénat. Cette loi stipule que « les personnes physiques qui n’ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n’ont pas pris les mesures permettant de l’éviter, sont responsables pénalement s’il est établi qu’elles ont, soit violé de façon manifestement délibérée une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui exposait autrui à un risque d’une particulière gravité qu’elles ne pouvaient ignorer ».
A ce jeu pervers, où l’Etat pose les règles et tient la banque, que se passera-t-il ?
Les plus lucides refuseront d’y participer, ce qui simplifiera les choses (moins d’élèves dans les écoles, moins de monde dans les transports ou les lieux de travail) à condition de continuer à s’affranchir des finalités de l’enseignement ou de l’économie.
Les plus sincères, avec bonne volonté, essaieront de bien faire mais tenus à l’impossible, n’y parviendront pas.
Et là, deux cas de figure, selon l’évolution de la pandémie :
- rien ne se passe, et l’auto-congratulation sera générale,
- les cas et surtout les cas graves reprennent, et la chasse aux sorcières s’engagera.
Des associations de parents attaqueront les enseignants, les salariés leurs employeurs. Des sanctions disciplinaires individuelles seront prises par les organisations privées ou publiques. La défiance, la dénonciation et le sectarisme gagneront partout.
Ce sera un jeu toxique, un jeu qu’on pourrait appeler : « C’est toi, le pangolin ».
Au-dessus de cette mêlée qu’il aura provoquée, l’Etat renforcera son emprise par le prolongement, ou le renforcement de l’état sanitaire d’exception. Ses dirigeants, grisés par cette expérience extraordinaire de pouvoir pseudo-totalitaire, ne voudront, ne pourront plus s’en passer.
Il ne faut pas accepter cela. Refuser ce glissement. Notre démocratie, notre art de vivre sont en jeu.
Adoptons des mesures de protection simples, compatibles avec nos activités et applicables, élaborées avec les praticiens et professionnels concernés, au lieu de sortir toutes armées des têtes des Ministères.
Mettons en place un système robuste, « de bout en bout » et réactif de détection et de mise à l’isolement des personnes contaminées.
Acceptons collectivement que tout ceci fasse « assez bien » seulement sur le plan sanitaire, parce que c’est cela qui nous permettra à côté de bien vivre, comme nous l’entendons, collectivement. Et déconfinons pleinement, sereinement.
Mais auparavant, passons contrat. Passons contrat, du haut en bas de l’échelle sociale, sur le niveau de risque que nous acceptons solidairement de courir, après avoir travaillé à le limiter.
Acceptons que le risque zéro n’existe pas, qu’il est impossible de l’atteindre, et peut-être même destructeur de le rechercher.
Aussi irréaliste de le demander, que malhonnête de le promettre.
Daniel Rigaud