Ce n’est un secret pour personne, la démocratie ne fonctionne pas en France, au sens étymologique du gouvernement par le peuple.
L’article « Cette démocratie qu’on nous confisque » paru sur ce blog montre même que ce fonctionnement recule continument, le pouvoir étant escamoté derrière des simulacres d’expression populaire, obscurcis par un tapage médiatique privilégiant systématiquement le compassionnel sur le factuel, l’émotion sur la compréhension.
Les politiques eux-mêmes, imbus de leur personne et obsédés par les jeux d’appareil, ne font même plus semblant de croire à leur mission, et sûrs de leur impunité ne songent qu’à s’octroyer sans scrupule des avantages indus.
Durer pour son intérêt particulier plutôt qu’agir pour l’intérêt général est devenu la règle non écrite.
Cependant, il serait injuste de faire porter au seul personnel politique la responsabilité de ce fonctionnement qu’ils n’ont pas toujours créé, et que le peuple accepte.
Car enfin, le peuple se tait. Il n’en pense pas moins, peut-être, mais il se résigne à laisser aller les choses, grappillant au passage de menus avantages. Il s’absorbe dans sa vie personnelle ou familiale, sans mesurer le coût indolore des dysfonctionnements et des gaspillages, mais vote de moins en moins et ne croit plus en rien.
Ce fonctionnement d’auto-enfermement d’une classe dirigeante qui se coupe de la Nation est connu, il mène tout droit aux révolutions, avec son cortège de violences et de retours en arrière ; mais ces révolutions peuvent ne servir qu’à remplacer une classe dirigeante par une autre, si des réformes de fond ne sont pas menées à cette occasion.
Or il est bien difficile, dans une période de trouble, de penser sereinement un nouveau système démocratique ; de loin, il vaut mieux conduire ces réformes dans le calme, avec la détermination et le temps nécessaires.
Alors rêvons un peu, imaginons que nous avons ce temps et cette détermination. Que faire pour installer une démocratie de plein exercice ?
Le principe est simple : le fonctionnement de la politique doit être saisissable. Au sens où chacun puisse s’en emparer, et le comprendre.
Et voici 5 idées concrètes pour y parvenir :
Pouvoir porter ses suffrages sur des réponses, pas sur des promesses
Chaque scrutin, local ou national, passe par l’exercice convenu du programme électoral, de la déclaration du candidat censée donner envie de l’élire.
Il est quand même étonnant de constater que ce programme se présente totalement comme une « figure libre », où le candidat (ou son équipe de communicants, ou son parti) choisit les thèmes sur lesquels il va discourir, et les termes plus ou moins fleuris, plus ou moins vindicatifs de son discours.
Auriez-vous l’idée, si vous faites appel à un artisan pour des travaux dans votre maison, de le laisser écrire un devis selon sa fantaisie ? Ne pas lui dire s’il faut en priorité refaire le toit, ou aménager la cave ?
A chaque échéance électorale une commune, une collectivité territoriale, une Nation se trouvent dans un certain état : économique, social, sociétal,…. qui doit évoluer et progresser. Un candidat se présente pour que cette progression intervienne sous sa responsabilité et pendant le mandat qu’il brigue.
Il serait donc bien naturel que le corps électoral identifie préalablement à chaque élection les problématiques qui lui paraissent essentielles, les décrive brièvement, exprime ses attentes de résolution. Des mécanismes de type consultation citoyenne, appui d’experts indépendants,… pourraient être utilisés à cet effet.
Le programme électoral d’un candidat serait alors obligatoirement (à peine de nullité de la candidature) un exposé des solutions qu’il compte mettre en œuvre pour répondre à ses problématiques, chiffrées et argumentées pour être convaincantes.
Instituer la contribution politique citoyenne continue
Le concept de représentation dans notre démocratie n’a pas évolué depuis la Révolution. A l’heure de l’instantanéité, de l’accélération des évènements, de la multi-latéralité des échanges par réseaux sociaux, est-ce raisonnable de n’écouter officiellement ses électeurs qu’une fois tous les 5 ou 6 ans ?
Bien entendu, il existe déjà de l’informel : permanence de député dans sa circonscription, intervention de lobbys, site personnel de l’élu,… . Mais ce qui est proposé là, c’est d’instituer dans le fonctionnement démocratique, dans le mécanisme d’élaboration des lois, la prise en compte de contributions citoyennes produites sur des forums dédiés à certains thèmes (rôle de l’Etat, développement de l’économie, modèle social,…), et dont la force tiendrait à leur nombre (établi par un système de vote sur des motions, par exemple) et à leur pertinence validée par des experts indépendants.
On peut imaginer plusieurs fonctionnements pour ces forums : une activité permanente de réflexion, débat et production sur le thème de référence, avec émergence progressive de propositions construites ; ou encore, une mise en mouvement par la proposition d’une problématique par le gouvernement travaillant à un projet de loi, et donnant lieu à une réponse ciblée.
Ce genre de « think tank », populaire et non plus élitiste, n’enlèverait rien aux pouvoirs du Parlement et du gouvernement qui continueraient à légiférer, mais avec de bien meilleurs éclairages sociétaux, et une compréhension citoyenne sans commune mesure.
Contribuer selon ses compétences et son engagement
Ces forums citoyens porteraient une responsabilité importante dans le fonctionnement démocratique, et en nouveaux venus auront à faire la preuve de leur utilité ; leurs contributions doivent donc être de grande valeur, et porter l’intérêt général.
C’est pourquoi il nous paraît nécessaire que les futurs contributeurs à ces forums aient fait preuve de leur investissement personnel, et de leur compétence sur le thème du forum.
Il ne s’agit pas là de n’ouvrir ces forums qu’à des économistes, sociologues, entrepreneurs,… dûment diplômés ; ceux-là, en tout cas certains, sont déjà sur les plateaux médiatiques.
Mais comment contribuer de manière pertinente à un thème, sans en posséder les données objectives de base ? Sans avoir compris les mécanismes de référence qui s’appliquent dans le domaine, et avoir un peu regardé ce qui se fait ailleurs ?
Pour y parvenir de manière la plus ouverte possible, on pourrait constituer des dossiers de présentation du thème (emploi, innovation, formation….) pédagogiques et synthétiques, qui seraient accessibles à tous en ligne.
Les personnes intéressées par un forum en prendraient connaissance, et pour s’inscrire passeraient un test validant leur assimilation du dossier de présentation.
Une fois inscrites, ces personnes par leur assiduité et la qualité de leurs contributions, se verraient confier des responsabilités croissantes dans le fonctionnement et les productions du forum.
Limiter la durée de vie en politique
Il n’est pas rare de voir un maire ou un député à la tête de sa ville ou de sa circonscription plusieurs dizaines d’années, passer de l’Assemblée au Sénat, ou au Parlement Européen, ou cumuler plusieurs de ces mandats, au point de devenir un professionnel de la politique.
Leur réélection semble une évidence au citoyen moyen, qui ne se donne pas nécessairement la peine de prendre connaissance de toute l’offre politique présente aux élections ; il considère que si cet élu est là depuis longtemps, c’est qu’il doit faire l’affaire.
Pour le bien public, cette professionnalisation de la politique n’est pas une bonne chose. Avec le temps, l’élu progressivement fait de sa durée dans les mandats le moteur essentiel de son action, parce qu’il est trop engagé dans ce monde politique pour imaginer faire autre chose dans sa vie.
Faisant cela, il se sert avant de servir. Il ne représente plus l’intérêt général, son action n’a plus de facto de légitimité.
On pourrait répondre qu’un élu qui dure a une connaissance sans égal de sa circonscription, et que c’est une compétence utile au citoyen. Malheureusement, on voit rarement cette compétence, cette maîtrise des réseaux, cette proximité du terrain, se mettre au service de projets d’intérêt général qui nécessairement dérangeraient plus que l’inaction ou la simple gesticulation.
Pour permettre aux élus de rester concentrés sur leur mission de représentation, il faut clairement établir qu’on ne reste qu’un temps limité en politique (dix ou douze ans, par exemple), tous mandats confondus.
Evaluer les réalisations en fin de mandat
Il est très étonnant, alors que les évaluations et les retours d’expérience s’étendent à des domaines de l’activité humaine sans cesse plus nombreux, de voir l’évaluation de l’action politique aussi faiblement pratiquée.
Et pourtant il s’agit de l’intérêt général, de nos vies au quotidien, de l’utilisation de l’argent public, de la préparation de notre avenir : petits sujets !
Si l’on suit la première idée de cet article, l’élu aura été choisi sur la pertinence perçue de ses solutions aux problématiques posées par le corps électoral.
On disposera donc d’une base solide pour apprécier la réalisation par l’élu de ses solutions, évaluation qui pourrait être fait en partie par un audit indépendant (type Cour des Comptes, par exemple)
L’élu obtiendrait alors ou non quitus de sa gestion, assorti éventuellement d‘une sanction positive ou négative sur sa rémunération, sans que cela interfère sur son droit à se représenter s’il le souhaite. Mais au moins, le citoyen électeur aurait un solide élément de jugement sur son action passée.
Rien de tout cela n’est inaccessible. Nous pouvons le demander et l’obtenir de notre classe politique, qui s’adaptera. Nous le devons pour l’avenir paisible et efficace de notre démocratie.
Daniel Rigaud