En ces temps de célébration de Jeanne d’Arc par tous les bords politiques, une question fait débat au sein de la petite troupe (pas encore au complet, rassurez-vous) des présidentiables, déclarés, probables ou qui voudraient bien l’être : le futur Président, la future Présidente doit-il être un homme ou une femme providentiels ?
Ce qui est tendance ces derniers jours : plutôt non, à droite comme à gauche.
Cela ne fait pas référence aux derniers actes du Président en exercice, qui a fait de l’extrême-normalité son positionnement, ni à ceux de son prédécesseur, auteur lui aussi de bien des familiarités incompatibles avec la posture du Commandeur. Il s’agit des positionnements tous récents de certains « présidentiables », comme ceux d’un JF Copé sur son blog, ou d’un E. Macron à Orléans le 8 mai dernier.
On la joue sursaut national citoyen, génération spontanée d’élan collectif, tout en affirmant paradoxalement qu’il faudra un Etat fort, et un gouvernement par ordonnances, du moins au début, parce que, n’est-ce pas, nous sommes quasi en état de guerre, que l’éducation, la sécu, l’emploi, l’Europe et nos finances vont très mal. Que croire ?
Trois éléments pour répondre à cette question : les circonstances, le génie de la France, l’organisation de ses institutions.
Les circonstances, lorsqu’elles deviennent dramatiques, décuplent le besoin d’homme providentiel : il faut alors, pour régler l’urgence et la gravité, des circuits de décision courts, de l’exécution rapide sans états d’âme. En croisant les doigts pour que la compétence et la capacité de jugement, soient à ce moment-là colocataires à l’Elysée.
Nous vivons, nous allons vivre une mutation mondiale sans précédent de l’économie, de la politique et des sociétés, sous l’aiguillon de la numérisation manié par les GAFA et autres NATU; les Nations, leurs gouvernants qui n’auront ni saisi l’enjeu, ni développé une stratégie pertinente deviendront des vassales économiques, culturelles, politiques, du nouvel ordre mondial.
Or, notre pays ne se sent pas en grave danger : malgré les attentats, les réfugiés et le chômage, la France est heureuse. Un sondage récent montre les 3/4 des personnes interrogées heureuses à des degrés divers, et dont le bonheur provient de son périmètre rapproché : le logement, la famille, les amis. Pourquoi dans ce cas rechercher quelqu’un pour prendre en charge la transformation inutile, ou la défense d’un commun national non menacé ?
Qui plus est, on assiste depuis plusieurs décades à une exaltation des accomplissements individuels, au détriment des fiertés collectives, reléguées au rang d’aberrations dépassées, ou dangereuses, de l’Histoire. Cela conduit à un sentiment national régressif, comme l’illustre l’expression enfantine (bougies, graffitis larmoyants ou sommaires, dessins de maternelle….) des émotions dues aux attentats, au pied de la statue de la République.
Cet état actuel de la France, tranquille, cotonneux, friable et comme anesthésié, n’est guère propice à l’émergence d’un leader providentiel.
Le génie de la France, parlons-en. Il faut reconnaître à notre pays une singulière constance à fonctionner par à-coups et ruptures, à attendre d’être au bord du trou pour réagir et nous transformer profondément, progressant d’un coup bien plus loin que nos voisins, comme catapultés par un ressort brusquement libéré. Et avec souvent, l’irruption à point nommé d’un homme ou d’une femme providentiels : une Jeanne d’Arc pour unifier le royaume et chasser l’envahisseur, un Napoléon pour rendre pérenne la République dans une Europe hostile, un autre pour réussir le passage dans l’ère industrielle, un de Gaulle pour rétablir notre place de nation majeure dans le monde après la défaite,…
La régularité allemande, le pragmatisme anglais, la flexibilité italienne : ce ne sont pas nos gènes, nous ne les maîtriserons jamais aussi bien qu’eux, alors servons-nous de ce que nous sommes, sans complexe. Et acceptons l’idée qu’un de ces « moments de catapultage » de notre Histoire puisse être en train de s’approcher, pour nous projeter, sous la conduite d’un homme ou d’une femme providentiels, dans l’ère de l’économie et de la société numériques, à inventer…
L’organisation de nos institutions, quant à elle, est faite pour un homme providentiel. La Constitution de la Ve République voulue par de Gaulle, avait initialement placé, par la règle du septennat, le Président dans un rôle hors normes, « hors quart » comme on dirait sur un bateau ; un rôle à la fois de vision et d’anticipation, et de porte-flambeau de la France éternelle, découplé du tempo électoral parlementaire.
Rôle évidemment taillé à l’époque pour le Général, mais aussi bien adapté au génie national, comme le démontre par l’absurde l’échec du passage au quinquennat, censé supprimer les cohabitations. Fausse bonne idée : ce n’est pas le septennat qui crée la cohabitation, mais le refus des Présidents qui l’ont subie à démissionner devant le désaveu électoral, contrairement à ce qu’a fait le Général de Gaulle en 1969.
Aujourd’hui, on assiste à une Présidence qui, ayant toutes les leviers de pouvoir en main en 2012 (majorité dans les 2 Chambres, dans les Régions, les métropoles,…) a réussi à créer au sein de son parti et de son gouvernement, un fonctionnement « d’intra-cohabitation » entre courants d’ego, probablement plus rugueux et plus inefficace qu’il ne le serait avec l’opposition elle-même !
Nous sommes aujourd’hui une Nation encore nantie, globalement matériellement heureuse et anesthésiée par ce confort même ; nous avons des micro bonheurs juxtaposés, précaires, mais pas de projet collectif digne de ce nom, alors que la spécificité de la France est de produire des idées sociétales qui font avancer l’humanité. Nous ne sommes plus assez nous-mêmes.
Aucun anéantissement ne nous menace, mais un lent déclassement que nous ne percevons pas, parce qu’il est invisible, inédit, et que nous sommes pelotonnés sous une couverture sociale achetée à crédit : les transferts de richesse, d’information et de savoir qui produisent ce déclassement sont silencieux, opérés par ceux qui ont compris avant nous comment se servir de la numérisation de l’économie.
Ce danger-là est réel, et nous n’avons ni plan de sensibilisation, et encore moins de stratégie de riposte, pour rétablir nos positions.
Un présidentiable de 2017 doit être à même d’appréhender ces grandes transformations du monde, avoir la vision du mouvement stratégique nécessaire à la France dans les 10 ou 20 ans qui viennent, savoir rassembler autour de lui une équipe de metteurs en œuvre déterminés et compétents, et bien entendu la faire percevoir et partager, fût-ce avec vigueur, par la Nation.
A Austerlitz, la veille de la bataille, tous les soldats des armées françaises connaissaient la manœuvre que Napoléon leur avait décrite, et la comprenaient ; ils l’ont exécutée brillamment, comme un seul homme. C’est notre génie national que de savoir arriver à faire ces choses-là, quand il le faut, et nous en sommes toujours capables.
Si cet homme ou cette femme présidentiable se lève et se révèle dans les mois qui viennent, et parvient à nous réveiller, il trouvera alors la Nation et les institutions qui permettront la réussite.
On peut comprendre que certains ne se sentent pas les épaules de ce rôle écrasant, et préfèrent en nier la nécessité : petit calcul, courte vue, bien-pensance ordinaire.
Mais le besoin est là, fort et clair : il nous faut un homme, ou une femme providentiels pour 2017 !
Daniel Rigaud



