Notre maison Terre bruisse continûment de craquements, et même de secousses conflictuelles souvent mortelles. Hors quelques idéalistes impénitents, nous nous y sommes habitués, n’y voyant qu’un accompagnement vibrionnant, gênant mais inévitable de la marche en avant de l’Humanité sur notre belle planète. Le ronronnement du moteur de l’évolution en quelque sorte.
Ces derniers temps, ces craquements ont pris de l’ampleur. Il ne s’agit pas ici des nouvelles peurs climatologiques ou épidémiologiques, qui pourtant monopolisent sans hasard notre espace médiatique. Il s’agit de ces craquements qu’on croyait derrière nous, ceux des conquêtes, ou tentatives de conquêtes territoriales impériales par la force des armes, sous-tendues ou non par des conflits religieux venus eux-mêmes du fond des âges.
A l’heure de la dématérialisation et des réseaux numériques, de l’avènement du soft power et de l’emprise privée ou publique sur l’intimité des modes de vie individuels, qui peut bien encore se soucier de conquérir territoires et oblasts, à coups de roquettes et de drones tueurs, au prix de destructions et d’horreurs cruelles commises sur la population civile ?
Que signifie cette résurgence barbare ? Est-ce là un dernier hoquet de l’Histoire, ou a-t-elle une signification plus profonde, celle d’un changement d’ère ? En ce cas, allons-nous être immanquablement emportés, comme tant d’autres civilisations qui se sont crues immortelles avant nous, ou des cartes peuvent-elles encore être jouées ? Quelle ligne de conduite devons-nous adopter, pour y faire face avec succès ?
Tous ces points vont être abordés dans une série de trois articles, qui seront publiés sur ce site :
- Grand craquement : les causes
- Grand craquement : les enjeux
- Grand craquement : la stratégie pour les démocraties
Voici le troisième. Bonne lecture !
Grand craquement : la stratégie pour les démocraties
Comme probablement jamais autant, jamais aussi vite, l’ordre du monde bascule. Les Etats-Unis sont à deux doigts de l’isolationnisme, les guerres d’empires prospèrent, la Chine parle haut, les alliances se font et se défont sans référence à un schéma clair.
Et pour la première fois, pour les démocraties, le danger est extrême.
Elles ne sont déjà plus le système de référence de gouvernance, comme à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale, comme à la création de l’ONU.
Incohérence entre principes et comportement de ses zélateurs ? Immaturité politique des peuples ? Dérives vers trop d’individualisme ? Primauté de l’émotion ? Incapacité à penser et agir le long terme ? Arrogance déplacée ? Ignorance ou mépris des réalités culturelles multiséculaires ?
Les causes possibles en sont multiples, enchevêtrées, les contextes locaux, tous singuliers. L’Histoire, peut-être un jour, démêlera tous les fils, dira les enchaînements. Peut-être aussi, dira-t-elle que c’était mission impossible.
En tout cas, la réalité est là : la vision d’une planète des Droits de l’Homme occidentaux a vécu, son mode de promotion moralisateur et condescendant aussi.
Définitivement.
Mais ce n’est pas tout. Cette fois, les démocraties sont menacées dans leur existence même. Pourquoi ?
C’est le corollaire d’un des préceptes bien connu du libéralisme: « The winner takes it all ». Le camp occidental, depuis des dizaines d’années, s’est configuré en dominant : suprématie de la monnaie, de la technologie, de l’armement, jusqu’au langage, la culture, et les mœurs.
Sauf que les démocraties occidentales ne sont plus les « winners » mondiaux. Cette prétention comme on l’a vu, est brisée. Les anciens « vassaux » relèvent la tête, comptent leurs forces, les additionnent. L’emprise occidentale vacille et s’éteint. Les insolences, les ingratitudes se multiplient, les tabous tombent les uns après les autres, à l’exemple de la France au Sahel.
Garder alors l’attitude ancienne de domination, alors que les moyens ne suivent plus, est un danger mortel : celui de l’inadaptation. Celui-là même qui fait disparaitre les espèces par milliers au cours des catastrophes climatiques, ou les civilisations devant les invasions barbares, sans cérémonie.
Dans cette atmosphère mondiale frondeuse, nous allons subir des conflits coûteux, des revers diplomatiques et économiques avec des conséquences directes sur notre niveau de vie. Nous aurons des mutations profondes, clivantes à accomplir. Il faut nous mettre désormais dans la peau du challenger, ce qui change tout.
Comprendrons-nous assez tôt ce qui nous arrive ? Saurons-nous faire bloc dans ces difficultés ? Aurons-nous les dirigeants pour ces temps difficiles ? Saurons-nous nous réinventer ?
Avec des corps sociaux aussi « archipelisés », jouisseurs, court-termistes que les nôtres, on peut en douter.
Dès lors, le moral peut s’effondrer aux premières épreuves, les querelles internes et les rancœurs se multiplier et dissoudre définitivement les nations démocratiques dans un brouhaha de querelles misérables.
Et l’idée même de démocratie, être jetée aux poubelles de l’Histoire.
L’Histoire nous enseigne qu’avant d’être vaincu, on est convaincu. Convaincu que l’adversaire est plus fort, ou que c’est trop tard, ou que l’on est trahi, ou dépassé.
Paroles de défaite, paroles de paralysie, annonçant le découragement et l’abandon.
Mais aucune bataille n’est perdue d’avance, sur quelque terrain que ce soit. Quelques exemples ?
- En 1914, les choses vont bien mal pour l’armée française, les troupes allemandes avancent inexorablement vers Paris ; mais dans le pessimisme ambiant, le Général Foch se dresse et lance son célèbre :
« Mon centre est enfoncé, ma droite recule ; situation excellente, j’attaque »
La dynamique de l’armée allemande sera stoppée sur la Marne.
- Plus proche de nous, et dans un contexte plus économique : dans les années 70, rien ne semble arrêter l’essor des voitures japonaises, qui mettent à mal les grands constructeurs américains, dont la communication semble découragée : prix, produit, performance, fiabilité, les voitures japonaises semblaient meilleures en tout.
En désespoir de cause, Ford sortit alors une campagne de publicité étonnante : son simple logo, assorti de la phrase : « What Japanese will never have ».
Autrement dit : nous sommes à terre, mais pour autant vous n’aurez jamais notre histoire, notre âme, nos valeurs, et avec elles nous renaitrons.
40 ans plus tard, Ford va bien, merci pour lui.
Et on pourrait multiplier les exemples.
Même, et peut-être surtout si nous perdons du terrain, il faut résister et se battre.
Mais en même temps que nous sommes attaqués, nous avons à remettre à plat notre logiciel de dominant, adopter celui d’un challenger. Une réflexion stratégique s’impose, plus que jamais. Nous avons dès maintenant à construire la combinaison de nos moyens, devenus limités, qui en décuplera l’efficacité. En challengers.
Cette stratégie s’appuie sur quelques principes, peu nombreux. Certains sont généraux et permanents, les autres de court terme, à activer au plus tôt pour un effet rapide, ou de long terme, à appliquer dans la durée pour produire les transformations si nécessaires :
Principes généraux
- Camper sur l’idée de démocratie
C’est un très lourd parti-pris, qui pourrait légitimement être contesté, nous y reviendrons. Mais quoi ! Depuis quelques siècles, ce mode de gouvernance est devenu notre credo, il est l’aboutissement d’un long et ardu chemin sociétal ; il est maintenant constitutif de notre identité dans le monde, il structure nos relations internationales, nous ne pouvons y renoncer. Nous n’avons pas le choix : Il faut donc continuer à revendiquer la démocratie et à la défendre.
Encore faut-il démontrer ses vertus effectives sur la gouvernance de larges populations, et sa capacité à développer les individus comme faire progresser l’espèce humaine, établir qu’elles sont meilleures que les autres systèmes. Sans exemplarité, le discours est vain, et vite insupportable.
2. Renoncer au mondialisme militant
C’est ici une révision déchirante pour l’Occident, mais indispensable. Il faut désormais dire et répéter, en toute modestie, que la démocratie est le système que nous trouvons bon pour nous, mais que c’en est un parmi d’autres.
Et que c’est aux peuples de choisir, de manière endogène, pacifique ou si nécessaire sanglante, celui qui leur convient.
Avons-nous jamais procédé autrement dans notre histoire ? Qui nous aurait donc tenu la main dans notre cheminement sociétal ? Qui serions-nous pour chercher à imposer notre voie, et mettre sur un piédestal notre aboutissement, si lié à notre identité ?
Cela ne veut pas dire que nous nous fermerions aux échanges. Bien au contraire, ils doivent se développer ; mais désormais, sans y mêler à toute force des principes politiques, les baser uniquement sur les intérêts réciproques bien compris.
Cela ne veut pas dire que nous nous ignorerions. Bien au contraire, si nous savons être respectueux des autres, nous mettre à l’écoute de ce que les différences peuvent nous apprendre, après avoir gratté la couche de consumérisme qui les recouvrent, l’enrichissement réciproque sera considérable.
C’est acter aussi que l’avenir de l’Humanité n’est pas celui d’une foule de consommateurs indifférenciés et aliénés, mais d’un ensemble d’entités nationales qui commercent, avec leurs spécificités qu’elles gèrent elles-mêmes. Jusqu’à nouvel ordre.
C’est acter aussi que nos différences ne nous hiérarchisent pas, mais sont la source d’inspiration de nos progressions librement choisies.
3. Se doter de projets Nation
La notion de Nation est systématiquement persécutée dans la doxa occidentale actuelle, car elle s’oppose à l’établissement d’une gouvernance mondiale, régentant une population indifférenciée et rendue docile de consommateurs déresponsabilisés.
Avec elle, la notion de citoyen, cette si belle conquête de la Révolution Française, est traquée, effacée dans les paroles comme dans les actes de nos gouvernants. Mitterrand ne disait-il pas : « Le nationalisme, c’est la guerre » feignant en passant de confondre Nation et nationalisme ?
Un exemple parmi tant d’autres : avez-vous remarqué qu’on omet systématiquement le citoyen quand on parle de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen? Pourquoi cette amputation de titre, dans un texte fondateur devenu quasiment sacré ?
On tend à faire de la Nation un espace ouvert où tous les résidents du moment bénéficient des mêmes droits et avantages, sans seulement s’assurer « qu’ils partagent les valeurs de la République ».
Cette conception est non seulement irréaliste économiquement et socialement, mais pauvre et desséchante humainement. Le cœur humain a besoin d’histoire, de racines, d’attaches charnelles à une terre et ses paysages ; il n’est pas assez éthéré pour se contenter de principes, pas assez matérialiste pour se contenter de prestations sociales.
Comment avons-nous pu l’oublier ? Etrange époque où en Occident nous avons tout simplement occulté que l’Homme a besoin, oui un besoin vital, de transcendance ? Mais quelle ignorance ! Mais quelle fatuité ! Mais quelle cuistrerie !
La Nation ne sort pas de nulle part, elle n’a jamais été décrétée ; elle a été choisie, construite pierre à pierre ; elle est notre héritage, un condensé de centaines d’années d’Histoire, ne gardant que le plus admirable, tenu à notre disposition pour nous nourrir chaque jour.
Pour un peuple, il n’y a pas de Nation B. Comment pourrait-il sans folie l’ignorer, la sacrifier, la nier, ou la laisser caricaturer ou massacrer par des idéologues aussi haineux qu’ignares ?
Non seulement la Nation est irremplaçable, mais elle est à taille humaine. Nous pouvons en appréhender les bords, assimiler le caractère de ses Régions et le patchwork de leurs paysages, de leurs cultures et de leurs histoires. Nous avons un vécu commun conséquent qui nous unit, a resserré nos rangs dans les épreuves.
Ce n’est pas le cas de l’Europe. Sera-ce encore longtemps le cas des Etats-Unis ? Le monde, n’en parlons pas.
La Nation doit être rétablie dans son rôle de toujours : l’échelon pertinent d’appartenance et de développement humain, conforté par un espace régalien, monétaire, linguistique, culturel, partagé.
Appartenance, mais aussi élévation. La Nation doit tirer ses citoyens vers le haut, répondre à leur soif de transcendance, et rendre un produit de haute valeur humaine.
Elle doit avoir un projet. Elle n’en a pas aujourd’hui. La finalité ultime semble être de « protéger les Français ».
C’est tout ? C’est ça, le bonheur ? La couverture sociale, c’est ça l’accomplissement ?
Qui en France propose aujourd’hui un projet pour La Nation ? Qu’avons-nous à dire ? Que voulons-nous accomplir ?
Il nous faut un projet Nation. Pas une collection de principes fumeux irréalistes, comme d’habitude. Un projet opérationnel, cohérent de l’industrie à la culture, de la démographie à la recherche, du privé au public, alliant lignes directrices et espaces d’initiative et de créativité individuelles. Un projet de long terme, sur une, voire deux générations.
Et non, M. Mitterrand, un projet de Nation n’est pas nécessairement un projet belliciste !
Principes de court terme
4. Développer nos démocraties
Nos démocraties se sont dévoyées. Peu à peu, le pouvoir a fui les mains du peuple, peut-être pas suffisamment mûr, s’est concentré dans celles d’institutions, de professions ou de cercles non élus, au fonctionnement opaque. Le citoyen s’est détourné des urnes, sentant bien que l’exercice perdait son sens. En forme de compensation, ou d’alibi, on a laissé les associations se multiplier sur des sujets utiles mais sans portée, donc sans risque politique.
Le spectacle de son fonctionnement est aujourd’hui bien triste. Les élus, politiciens professionnels, sont coupés de leur base d’électeurs, et ne travaillent qu’à leur carrière. Le débat politique atteint les bas-fonds, bien loin de la conduite de l’intérêt général de la Nation. Les électeurs ne croient plus au système, ne le défendent pas, et par contagion, tous les services publics de l’Etat n’y croient plus : Education, police, santé, …. Déçus et découragés, leurs agents développent alors des stratégies personnelles de protection, ou d’évitement.
Résultat : l’ensemble de la structure d’Etat est incapable de répondre efficacement à un évènement inattendu, comme la crise du Covid. La communication est erratique, les actions désordonnées, jusqu’au plus haut niveau les mesures sont plus dictées par la peur d’être mis en cause que par leur aptitude à traiter le problème : pourquoi créer un « Conseil de Défense » (!) sinon pour en cacher les débats et les décisions ?
Résultat : Là où la dictature chinoise construit en 10 jours un hôpital en dur de 1 000 lits, nous mettons à peu près le même temps pour déployer sur le parking un hôpital de campagne en toile de quelques dizaines de lits….
Quelle attractivité peut avoir un système qui dysfonctionne autant ? Quelle efficacité à traiter les problèmes produit-il ?
Il faut que nos démocraties refonctionnent, et vite. Cela passe par les points suivants :
a. Restaurer le pouvoir des élus : la représentation nationale, et même le gouvernement, semblent constamment agir sous tutelle, faire de la communication pour paraître exister, tout en esquivant les vrais sujets qu’ils se savent bien incapables de résoudre : comment être crédibles dans ces conditions ?
Dans cette situation, il faut remettre en cause la hiérarchie des lois qui donnent tant de pouvoirs à des tribunaux non élus, dénoncer les traités qui entravent l’action publique, remettre à leur place le Conseil Constitutionnel et le Conseil d’Etat, à l’origine conçus comme les auxiliaires du pouvoir législatif et exécutif, et non comme leurs censeurs.
En voyant le personnel politique actuel, leurs comportements, on pourrait avoir la main qui tremble devant une telle révolution, se demander si le remède ne serait pas pire que le mal.
Deux réponses à cela :
- c’est parier que le système actuel explique largement ces comportements. Parier que, avec un nouveau système devenu responsabilisant, la fonction créera l’organe, c’est-à-dire un Parlement au travail, au service de l’ensemble des citoyens et de la France.
- et puis, si nous croyons au système de la démocratie représentative, nous n’avons guère le choix : il faut jouer à fond le jeu de la représentation, donner aux élus l’opportunité de prouver qu’ils peuvent contribuer efficacement à la gouvernance d’une démocratie.
b. Réorienter profondément l’action de l’appareil d’Etat : depuis toujours, la vocation de l’Etat est d’assurer d’abord ses fonctions régaliennes : monnaie, justice, police, défense, éducation, santé. C’est l’outil indispensable pour incarner un projet politique, mais aussi pour permettre une vie citoyenne équitable et transparente.
Un Etat à qui il arriverait d’être défaillant sur ce terrain ne devrait avoir qu’une seule priorité : rétablir au plus vite la situation, car c’est tout l’édifice démocratique qui vacille. De toute manière, aucune autre action n’aurait le moindre crédit.
Et il y a une condition essentielle au bon exercice de ces fonctions régaliennes : être rapide. Aussi rapide que possible, pour apporter une solution, une règle à appliquer, au plus près du problème, temporellement et spatialement.
Avec le temps, sûrement avec de bonnes intentions, le législateur a voulu améliorer les dispositions régaliennes initiales : distinguer les cas et les sous-cas, instaurer des nouveaux recours, … empilant texte sur texte à la poursuite d’une perfection (ou d’une irréprochabilité ?) impossible.
Et inexorablement, cette sophistication continue a eu deux conséquences, aussi graves l’une que l’autre :
- éloigner, jusqu’à la perte de vue, la cohérence d’ensemble de l’appareil régalien, au service du projet politique du moment,
- allonger, jusqu’à la perte de sens, le délai d’application d’une sanction, de réalisation d’une analyse d’impact, ….
Peu à peu, le processus « d’amélioration » s’exonère du terrain comme de la vision, et devient l’affaire exclusive d’experts qui en tirent illégitimement du pouvoir, et auto-entretiennent le mouvement à leur seul profit, rendant impotent l’appareil d’Etat, sans le moindre état d’âme.
Cette dynamique parasitaire se développe également allégrement au niveau infra (Départements, Régions) ou supra (U. E.), avec les mêmes effets (renforcés même, par les problématiques d’interface), comme si on en avait besoin !
Il faut enrayer et inverser ce mouvement. Comment ?
En reconfigurant l’appareil d’Etat, textes et structures qui les appliquent, autour de la notion, posée comme essentielle, du délai. Le délai attendu par le citoyen, et accepté par lui en fonction de l’ampleur et de la complexité du problème posé.
Quel sens peut avoir une décision judiciaire rendue plusieurs années après les faits ? La durée interminable de l’instruction d’une demande d’asile, comme d’un conflit de voisinage ?
Il pourrait sembler sommaire de reconfigurer les services de l’Etat sur un indicateur aussi simpliste que le délai.
Mais outre le fait qu’il s’agit d’une condition d’efficacité sociétale et de satisfaction individuelle du citoyen, cette approche est impitoyable pour passer au tamis les structures, les processus, les directives, avec cette seule question : quelle est la justification de ce temps ainsi consommé ?
En corollaire, il faudra tous (élus, personnel de l’Etat, citoyens) accepter l’idée de ne faire « qu’assez bien », parce qu’il ne s’agit non pas de remporter un concours de juridisme, mais d’écarter les obstacles qui grippent la vie collective citoyenne.
c. Renforcer le lien entre peuple et élus : la notion de représentation est au cœur de la démocratie : comment, en effet, concevoir une gouvernance de tout par tous, tout le temps ? Il faut bien que le peuple ait des représentants, parlant et agissant en son nom.
Mais nous sommes désormais (presque) tous connectés en temps réel. Nous avons des masses d’informations au bout des doigts. Nous connaissons parfois bien mieux certains sujets que nos représentants.
Nos relations avec eux ont-elles changé pour autant, depuis le temps des diligences ?
Pas considérablement. Peut-être même se sont-elles anémiées, se cantonnant trop souvent à des demandes individuelles ou des prises à partie haineuses, loin, bien loin du débat politique.
Pour faire vivre notre système démocratique et croire en lui, il faut installer un échange nourri et travaillé entre représentants et citoyens, les premiers devant accepter d’être porte-paroles de contributions de leurs électeurs, les seconds accepter de s’investir sur certains thèmes politiques et les travailler, pour produire une contribution citoyenne continue, déjà décrite sur ce blog en 2015
d. Réinvestir le temps long : c’est une des grandes différences entre démocraties et régimes autoritaires : les premières ont pratiquement abandonné le temps long, les secondes en font leur horizon habituel.
En démocratie, rien, ou presque rien, ne se programme à plus de deux ans, tout est affaire de circonstances et d’émotions publiques. Car il faut penser à la prochaine élection qui arrive très vite.
En dictature, cette épée de Damoclès n’existe pas. On peut tranquillement travailler dans la durée, concevoir et se tenir à une vision sur 30, 40, 50 ans, d’autant plus facilement qu’on est presque seul à le faire.
Or, les sujets stratégiques d’une Nation (démographie, énergie, alimentation, eau, santé, défense, transports, éducation, aménagement du territoire,…) demandent, outre des idées justes, de la continuité, de la constance, de la cohérence. Comment l’aurions-nous avec des mandats présidentiels de seulement 5 ans ? avec un parlement dont les élus, au-delà des clivages politiques, ont des visions antagonistes de la Nation, du bien commun, voire de l’éthique ?
Nous devons nous donner les moyens de « sanctuariser » certains sujets, en fonction de l’importance stratégique qu’ils revêtent, et d’en assurer la réalisation, indépendamment des changements de majorité parlementaire ; à cela, il faudra adjoindre un système particulier de contrôle et sanction.
e. Installer une « Alliance des démocraties » : la démocratie est une idée finalement récente dans l’histoire des communautés humaines ; inventée à quelques-uns il y a deux ou trois siècles, elle a encore à faire ses preuves, à installer et éprouver ses pratiques.
Elle est dans le monde actuel, rappelons-le, en situation de challenger.
Pour faciliter cet indispensable travail de crédibilisation, les démocraties auraient grand intérêt à échanger leurs idées, leurs expériences, leurs bonnes pratiques, non sur les concepts mais sur la mise en œuvre effective sur des terrains culturels très divers.
Il faut donc instituer une « Alliance des démocraties » permettant ce brassage et cette consolidation progressive du fonctionnement démocratique, et constituant un pôle d’attraction pour les autres Nations.
5. Se configurer pour un monde dangereux et versatile
La mondialisation libérale se conçoit dans un contexte géostratégique relativement apaisé, avec quelques super Nations ayant les moyens monétaires, militaires, économiques de jouer les gendarmes du monde, et ramener à la raison les quelques rares trublions.
Elles sont aidées en cela par l’omniprésence de la doxa démocratique, imposant les Droits de l’Homme comme référent moral universel, disqualifiant d’avance les tyranneaux belliqueux.
Cette tentative de modèle a vécu. Le monde redevient turbulent, agressif, imprévisible. Les démocraties occidentales, placées sur la défensive, doivent profondément s’adapter.
Cela passe par :
a. Installer une auto-suffisance stratégique : il n’est plus question de dépendre, pour ses besoins essentiels, de pays de l’autre côté du monde, sous prétexte d’optimisation des coûts de main d’œuvre. Lorsque le transport maritime peut aléatoirement devenir impossible, que vaut cette optimisation ?
L’auto-suffisance, en tout cas sur l’alimentation, l’énergie, la santé, la défense, doit devenir la situation à rechercher. Ce principe s’applique également avec les autres démocraties, qui peuvent modifier leurs politiques d’échange selon leur intérêt.
Cela vaut pour les produits, mais également pour les compétences et les capitaux permettant cette auto-suffisance.
b. Assurer une indépendance des approvisionnements : Même dans le cas de la France disposant de nombreux atouts pour réaliser cette auto-suffisance stratégique, tous les besoins ne pourront être couverts.
Pour eux, il faudra donc mettre en place une politique d’approvisionnement sécurisée, faisant appel à plusieurs fournisseurs si possible aux intérêts stratégiques opposés, permettant de pallier les retournements de politique d’exportation. C’est une obligation aussi, non négociable.
Ce principe de diversification du risque fournisseurs sera aussi appliqué aux besoins non stratégiques et non satisfaits, mais avec plus de souplesse.
c. Assouplir les engagements internationaux : Les démocraties doivent retrouver leur liberté de mouvement, nécessaire pour construire leurs projets politiques nationaux.
En ce sens, il faut stopper, voire déconstruire autant que nécessaire, les structures supra nationales telles que l’U.E., sapant sans légitimité les Nations tout en étant incapable de se substituer à elles. Le long terme, l’existentiel d’un pays ne sont pas, et ne seront jamais son domaine.
Mais il ne faut pas se replier sur soi pour autant, bien au contraire. Il faut multiplier les contrats et traités ciblés, de court terme et facilement résiliables.
Principes de long terme
Comme une chaîne, la démocratie ne peut se renforcer qu’en fortifiant tous ses maillons. Dans ce domaine, nous ne ferons pas l’économie de repenser en profondeur la nature du citoyen, et de son rôle dans la communauté nationale.
Le système actuel, comme souvent en démocratie, est assez onirique : il pose en principe que le citoyen est aussi éclairé, souverain qu’investi dans le bien commun, et qu’à partir des Droits de l’Homme, il saura construire et faire vivre par ses représentants une gouvernance démocratique.
Ce n’est évidemment pas la réalité.
Les citoyens d’aujourd’hui sont bien plutôt des consommateurs exigeants, insouciants, égoïstes, et indifférents à la collectivité. Presque exclusivement, ce sont des motivations personnelles qui déterminent leurs comportements, les poussant à enchaîner les instants hédonistes autant qu’ils le peuvent, à tous les âges de la vie. On ne peut leur en vouloir, le système libéral les a formatés ainsi.
Le cadre sociétal, la prospérité relative des sociétés démocratiques occidentales ont jusqu’à présent permis ce comportement de ludion inconscient et insouciant, qui pourtant affaiblit dangereusement la cohésion sociale… mais en temps de paix, quel en est le risque ?
Sauf que les temps changent. Comme dans un bateau à l’approche de la tempête, il faut renforcer les arrimages, vérifier les haubans, entre l’individuel et le collectif, entre les droits et les devoirs.
Et en même temps, ne pas se contenter de résister, mais trouver une nouvelle espérance.
Cela passe par deux domaines à travailler sur le long terme :
6. Construire le « corps citoyen » de la Nation :
a. Oser installer la « fabrique du citoyen » :
Pas de démocratie forte sans citoyens de plein exercice. Ceux-ci ne tomberont pas du ciel. Ils ne peuvent être issus que d’une entreprise de fond, cohérente et constante, mobilisant la société et la cellule familiale, pour témoigner, transmettre et faire aimer cette notion magnifique.
L’école, les média, le cercle familial doivent agir de concert, avec obligation de moyens et de résultats. J’insiste : ce n’est pas une figure de style, c’est notre survie que nous organisons.
Et par pitié, pas de cris d’orfraie sur de soi-disant atteintes à la liberté ! Préférerions-nous au citoyen le modèle du consommateur libéral, ou celui du sujet en dictature, qui nous ont été imposés jusqu’à présent ? Nous avons un modèle, la démocratie, le meilleur pour assurer les bonheurs privés et l’accomplissement individuel, alors n’ayons pas de scrupule à l’organiser et le faire vivre !
b. Etablir une responsabilité parentale citoyenne :
Une bonne partie de la « fabrication » du citoyen passe par le cercle familial. Et pourtant, pour combien de parents cette préoccupation est-elle présente ? Décider de faire un enfant répond dans la plupart des cas à une pulsion affective atavique, sans nécessairement accepter cet engagement d’éducation et de formation d’un individu bien sûr, mais aussi d’un membre d’un modèle social.
Pourtant ce lien existe, entre cellule familiale et société, ne serait-ce que financièrement par la politique familiale conduite par la Nation, l’aide à l’accès à l’Education et à la culture. La Nation paye, mais qu’attend-elle en retour ? Quel est le contrat, comment son application est-elle assurée ?
Tout cela, au nom de la notion mal comprise de liberté, est d’un flou absolu.
Il faut rendre cet engagement réciproque explicite, par exemple au moment de la formation de couple (Pacs, mariage), en détaillant le projet familial s’il y en a un, et établissant une vérification périodique de sa bonne réalisation.
c. Maîtriser l’équilibre citoyen/résident :
Sur le sol d’une Nation, à un instant donné, cohabitent légitimement deux populations : les citoyens et les résidents étrangers.
Les citoyens sont les bâtisseurs de la démocratie. C’est leur devoir, ils y consacrent du temps et de l’énergie, ils ont des droits exclusifs en retour : élire, bénéficier de services publics à des conditions préférentielles, ou d’aides sociales …. Ils sont liés à la Nation, indissolublement.
Les résidents étrangers, munis de titres de séjour réguliers, sont nos hôtes. Ils bénéficient des mêmes libertés publiques que les citoyens. Ils ont accès à nos services publics, mais à leur prix réel. Ils ne sont pas partie prenante du projet national. Leurs enfants, s’ils en ont en France, naissent avec la nationalité de leurs parents. Ils sont libres de rester ou sortir du territoire. Ils peuvent postuler au statut de citoyen, mais doivent pour y réussir remplir des conditions d’aptitude citoyenne notamment, et s’engager à renoncer en cas de réussite à leur citoyenneté antérieure.
En aucun cas, pour quelque raison que ce soit, ils ne peuvent prétendre installer un contre-modèle de société et/ou de culture sur le sol national. Ce genre de changement est l’apanage des citoyens.
Et puis il y a les réfugiés, et les illégaux. Ceux-là sont nos frères humains. Les conditions matérielles de subsistance qui leur sont accordées font partie de la générosité nationale, qui doit être ajustée selon nos possibilités.
Les uns et les autres sont là provisoirement, les premiers attendant que cessent les conditions inhumaines de leur pays, les autres leur expulsion, sans exception : on n’est pas accueilli quand on rentre par effraction. Les réfugiés, eux, peuvent demander à devenir résidents.
Mais revenons aux deux premières catégories, citoyens et résidents étrangers.
Comme on l’a vu, leurs droits sont nettement différenciés, pour que le projet national reste entre les mains des citoyens ; mais cela ne suffira pas.
Il faut aussi maîtriser leur poids dans la population d’ensemble. En démographie, le nombre devient vite un fait politique incontournable, et incontrôlable.
Il faudra donc fixer une proportion de résidents étrangers à ne pas dépasser, sans doute entre 5 et 10% de la population présente, réfugiés et illégaux non compris.
d. Lier démographie et projet Nation :
Un des grands arguments des tenants de l’immigration est que l’économie en a besoin, que des métiers sont « en tension ». Quoi de plus simple alors que « d’importer » des adultes étrangers peu qualifiés et les affecter aux tâches les plus basiques ?
Passons sur les conditions de travail qui sont faites à ces immigrants sans papiers, bien loin du modèle social que nous avons construit ; passons aussi sur l’utilisation de ce levier contre les salariés classiques, et leurs demandes de rémunération.
Mais on ne peut passer sur le coût caché considérable de cette « solution », en termes d’éducation, de conflit de cultures, de ghettoïsation, de communautarisme, de développement des violences et des trafics, comme de cohésion nationale ? Vient un moment où le système sociétal en place ne peut plus absorber ces apports extérieurs, ne tient plus et explose.
Serait-ce là le projet national voulu par les citoyens ?
Là encore, c’est une question de priorités, d’ordre des facteurs : la population doit-elle s’adapter à l’économie, ou l’économie à la population ?
L’approche doit être systémique, et pleinement intégrée au projet politique : celui-ci doit comprendre une approche démographique explicite officielle (déclinée dans le contrat familial citoyen), un plan économique structurellement en phase avec elle, l’ensemble permettant la réalisation des axes stratégiques choisis.
A partir de cette cohérence, dans les limites posées plus haut, l’immigration de travail jouera un simple rôle conjoncturel d’ajustement des aléas ou de rééquilibre temporaire entre offre et demande de travail, à côté des mécanismes classiques de régulation par la rémunération.
7. Inventer une nouvelle vision universelle pour l’espèce humaine
Dans ce que nous connaissons de notre histoire d’espèce, la première tentative d’une vision universelle pour l’humanité revient à cet ensemble géographique et culturel qu’on appelle l’Europe, héritière de toutes les civilisations et cultures antiques méditerranéennes.
C’est tout sauf un hasard. Nos racines produisent cet esprit d’agilité, de curiosité, d’inventivité et d’audace qui nous poussent toujours plus loin.
Cette tentative intéressante avait les défauts de la jeunesse : force et audace certes, mais aussi présomption et impréparation. Nous avons pensé, sommairement et naïvement, qu’un modèle uniforme devait être imposé, par le haut de surcroît : il faut quelque chose de beaucoup plus riche et complexe. Le retour de bâton est cruel, mais instructif.
Mais cet échec ne remet pas en cause l’objectif : penser l’avenir de l’Humanité à la dimension du globe.
Cet objectif reste pertinent pour de multiples raisons, mais surtout deux :
- Nous partageons le même globe terrestre, les mêmes problématiques d’espace et de ressources : c’est donc l’espèce humaine dans sa totalité qui doit apporter sa réponse,
- Notre espèce, notamment par ses progrès technologiques, est aujourd’hui à même d’adresser ce niveau global ; on ne peut en dire autant de sa psyché collective, encore trop souvent à la traîne du côté tribal : nous avons à franchir des paliers de conscience, une vision universelle nous y aidera
Il faut donc nous remettre au travail, nous Occidentaux européens.
Mais trouver une telle vision ne se décrète pas. Pas plus que d’art, il n’existe de pensée philosophique d’Etat.
Les philosophes des Lumières eurent leurs mécènes, souverains la plupart. Ceux-ci ne se mêlaient pas aux débats, mais intelligemment créaient les conditions pour qu’ils aient lieu en toute liberté.
Il faut inventer quelque chose de similaire, qui permette de lever haut à nouveau l’étendard de la démocratie, et la rendre attractive.
Nous voilà arrivés au terme de mon propos stratégique pour les démocraties dans le monde actuel.
Le premier, je mesure le travail à accomplir. Et combien nous sommes peu préparés à nous y atteler. Je ne suis pas sûr que cela soit réalisable, en temps aussi compté.
Pire encore, peut-être est-ce hors de portée. Une communauté humaine de plusieurs dizaines ou centaines de millions d’êtres humains peut-elle atteindre le niveau de maturité collective suffisant pour faire fonctionner authentiquement une démocratie ?
Personne ne l’a fait jusqu’à présent. Les dictatures, elles, fonctionnent depuis la nuit des temps : serait-ce la seule gouvernance capable de faire avancer notre espèce ?
Je ne le crois pas. Il paraît impossible que la seule intelligence de quelques-uns puisse faire progresser toute une espèce.
Et je ne vois pas une espèce progresser sans que ses individus ne grandissent aussi.
Or c’est l’important, la progression de notre espèce. C’est une « grande querelle », et nous avons besoin de grandir.
Et être grand, c’est épouser une grande querelle.
N’est-ce pas, cher William ?
Daniel Rigaud