Avec Alstom et STX, l’actualité nous offre en ce moment une allégorie magistrale de la mondialisation.
Vous savez, avec ses belles symétries de personnages : le loup et l’agneau, le renard et le corbeau, le lion et le rat…, et sa conclusion en morale de fer.
Commençons, comme c’est toujours nécessaire, par dissiper les rideaux de fumée médiatique et politique habituels.
Non, on ne peut pas parler de succès européen quand on cède à la va-vite à une entreprise italienne une activité française ayant dix ans de commandes devant elle et un asset aussi stratégique que le plus grand chantier naval d’Europe.
Non, on ne peut pas se poser en stratège industriel mondial en laissant se dépouiller de ses activités , une à une, un conglomérat français de l’énergie, des télécoms et du ferroviaire, précurseur mondial dans de nombreux domaines, souvent au profit d’un groupe américain qui réussit, lui, son modèle de conglomérat, merci pour lui.
Non, on ne peut pas prétendre jouer un rôle international de premier plan en se privant des turbines de puissance essentielles aux filières nucléaire et de défense au profit des Etats-Unis, un de nos concurrents directs dans ces domaines.
Non, on ne peut pas se dire dirigeant politique d’un grand pays comme la France en feignant de croire que l’Etat n’a pas à intervenir dans des affaires de droit privé alors que la sécurité et l’indépendance nationales sont en jeu : absence de politique industrielle ? Manque de courage ? Naïveté internationale ? Primauté donnée à l’ego ou à l’intérêt personnel ? On ne sait.
Non, on ne peut pas se dire classe dirigeante en n’assurant pas d’une main ferme, même quand les ministres changent, la mise en œuvre d’un accord de cession, en enfumant l’opinion publique avec des soi-disant garanties obtenues qui ne s’appliqueront jamais, ou encore en disant : « ah, si j’étais resté Ministre…. » !
Non, on ne peut pas se dire un grand pays quand on laisse un de ses groupes stratégiques dériver pendant plus de dix ans dans des pratiques illégales sans réagir sur le plan judiciaire, quand on laisse ensuite son dirigeant seul face à une situation personnelle insupportable créée pour le contraindre, pendant qu’en face justice, renseignement, banques, conseils et entreprise agissent dans le long terme, de concert !
En France ou en Europe, nous ne manquons pas de talents, de savoir-faire et de ressources. Mais nous manquons terriblement de vision, de cohérence et de constance dans l’action.
Les politiques, tous bords confondus, impuissants devant le fait quasi-accompli, n’ont alors d’autre choix que de berner leur opinion publique en faisant miroiter une perspective illusoire (« on va faire des géants européens ») et en faisant mine de croire à des engagements qui ne seront pas tenus (rappelons-nous Arcelor, Péchiney, Lafarge, Alcatel…). Opinion anesthésiée, politiques muselés : rien ne peut plus arrêter le dépeçage, et la loi prédatrice de la mondialisation s’abat sur nos actifs économiques. Pire, détruit la confiance collective.
Hors Europe, des géants mondiaux se sont constitués, à l’échelle de la planète : Etats-Unis, Chine. Au moins aussi créatifs et talentueux que nous, mais leur gouvernance est infiniment plus puissante, déterminée et sans états d’âme. Leur marche en avant s’accélère, le temps presse.
Nous devons construire une cohérence aussi forte pour exister dans ce jeu : unir autour de la cause commune élite et population, banques et industrie, puissance publique et élus.
Ce serait plus facile de le faire au niveau de la Nation, avec son fonds commun déjà constitué. Mais l’échelle de l’Europe serait plus pertinente, avec ses 250 millions d’habitants.
Si cette cohérence peut se bâtir au niveau européen, tant mieux. La Présidence française essaye de pousser quelque chose sur ce sujet en ce moment, on verra ce qu’il en sortira.
Si cela s’avère impossible, ou trop long, alors il faut emprunter la voie britannique.
Choisir, mais vite. Cesser d’être le corbeau naïf du renard, pour ne pas devenir l’agneau du loup.
Daniel Rigaud