C’est donc arrivé.
Contre toute évidence, toute bienséance même, tous les sondages et presque tous les médias, Donald Trump devient le prochain Président des Etats-Unis.
L’histoire dira si ce tremblement de terre électoral précède un véritable rebattage des cartes au niveau mondial. Un mandat de 4 ans bien court, des contre-pouvoirs nombreux, empêcheront peut-être l’application de toutes les mesures annoncées ; elle dira aussi si Donald le milliardaire mégalomane, abandonnant les outrances de campagne qui l’ont servi mais auxquels il ne croyait pas nécessairement lui-même, se sera mué en vrai Président des 320 millions d’Américains. Ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas le plus important.
Le plus important dans ce qui vient de se passer, c’est que le peuple des Etats-Unis a vraiment parlé. Le lion jusque-là endormi a rugi, parce qu’un candidat a su capter ce qu’il vivait refoulé au fond de lui : dans cette élection, de très nombreux citoyens qui n’avaient jamais voté ont répondu à l’appeau du chasseur Donald Trump, saisissant cette chance de dire où ils en étaient : appauvris, déclassés par des modèles de pensée imposés, privés de perspectives et de raisons de fierté.
Et c’est un décalage sociétal considérable qui explose ainsi à la figure de la classe dirigeante américaine, Républicains et Démocrates confondus.
Face à cela, l’establishment médiatico-politique fait preuve de stupéfaction incrédule. Ce n’est pas qu’il n’avait jamais entendu que l’Amérique profonde ne l’aimait pas ; mais, abusé par les résultats des sondages inaptes à dresser cette topographie de fond de lac, il pensait que sa puissante machine médiatique, jointe à quelques mesures sociales en faveur des minorités, ferait le job et plierait une fois de plus l’élection en faveur de sa candidate.
Cette attitude disqualifie l’élite américaine à deux titres :
- Elle a déserté sa mission : enivrée par un conformisme et une suffisance d’entre-soi, elle a abandonné, au profit d’une appartenance à une diaspora internationale auto-proclamée avant-garde de l’humanité, sa mission première : œuvrer pour le bonheur de toute sa Nation. Elle a perdu sa raison d’être.
- Elle s’est aveuglée devant les signaux de détresse envoyés par cette Amérique profonde, blessée par la crise des subprimes ; au lieu de chercher à les comprendre et les traiter, cette élite a été dans le déni et le mépris, se contentant de déverser sur ces populations « arriérées » un peu plus de bonnes paroles mondialistes. Non seulement cette élite oublie son peuple, mais elle a cherché, cyniquement ou pas, mais sciemment, à étouffer son expression.
Et aujourd’hui encore, le message d’un « retour en arrière » de l’Amérique « démagogue » et « populiste » (les têtes de Gorgone habituellement brandies) est complaisamment relayé : mais quelle suffisance absolue ! Comment oser s’arroger ainsi le sens de l’Histoire, alors que les progrès obtenus en moyenne devraient rendre modeste!
Ne serait-ce pas plutôt que les peuples, et notamment le peuple américain, ont expérimenté le modèle sociétal et économique globalisant proposé, à base d’hyper financiarisation, de nivellement des cultures, de perméabilité des frontières, de multiculturalisme et d’individualisme érigés en dogmes intangibles? Et que pragmatiquement, au vu des résultats, ils ont rejeté ce modèle, et n’attendaient qu’un candidat, plus audacieux ou plus intuitif que les autres, pour le dire ?
Et sur notre rive de l’Atlantique? Très logiquement, puisque le modèle promu est mondial, le même puissant mécanisme de rejet est à l’oeuvre.
Le vote récent du Brexit présente des analogies troublantes avec l’élection américaine, tant sur le message de fond que sur la distribution des rôles.
D’autres pays membres de l’Union Européenne renâclent devant le multiculturalisme que l’on cherche à leur imposer à coups de quotas d’immigrés, et n’acceptent plus la fiction d’un espace Schengen sécurisant. Impavide, on ose signer avec le Canada un accord où les entreprises, défendant leurs intérêts financiers, pourront assigner en justice les Nations défendant les intérêts des peuples : comment en est-on arrivé à poser cette monstrueuse équivalence ?
L’Union Européenne actuelle, avec sa démocratie d’URSS sans les chars, craque de partout.
Les dirigeants et la technocratie européens en place, voient avec sidération la chute de l’Empire en Amérique. Probablement, ils voudront croire que rien ne changera, que Trump rentrera dans le rang. Peut-être, s’ils ont encore de l’instinct de survie, essaieront-ils de réagir.
Mais c’est trop tard. Ils ont contre eux 40 ans d’ignorance des messages de leurs peuples, de suffisance et de manipulation d’opinion, voire de dénis de démocratie à répétition.
La prochaine élection présidentielle en France s’inscrira sans doute dans ce mouvement. Les primaires de parti, summum d’entre-soi privées de la légitimité d’avoir porté ces grands débats, sombreront dans l’indifférence, ou au mieux enverront un candidat à l’abattoir du suffrage universel.
Les lions n’ont pas fini de rugir.
Daniel Rigaud