
C’était il n‘y a pas si longtemps. Les années 90, on va dire.
Le bloc soviétique venait de s’effondrer, battu « à la loyale », sans verser de sang, par son grand rival occidental, et semblait vouloir même se convertir à son modèle. La Chine se rêvait super-puissance, mais n’était encore que l’usine du monde, ne sachant que réprimer par la violence les attentes de sa jeunesse sur la place Tien An Men. Le Moyen-Orient purulait de conflits claniques, tribaux et religieux, mais ni plus ni moins que depuis deux ou trois dizaines de siècles, et à part quelques attentats sanglants, semblait se cantonner aux rives de la Méditerranée. L’Afrique, se débattant entre corruption, massacres ethniques et vestiges coloniaux, abordait à peine l’accélération de sa démographie. Le reste de l’Asie, du continent américain hors US : rien à signaler.
Les Etats-Unis, avec en remorque une Europe toujours soi-disant en construction, dominaient le monde. Militairement, économiquement, technologiquement et surtout peut-être culturellement : mode de vie, mœurs, système de valeur.
L’Occident avait atteint le toit du monde. Enivrés de ce succès, tous désirs comblés, du moins ceux de ses classes dirigeantes, les gouvernements des pays d’Europe (mais pas des Etats-Unis, j’y reviendrai) commettent alors, par suffisance et ignorance, une quadruple erreur :
- Croire que cette victoire était définitive, et que les conflits, hors l’hypothèse cataclysmique nucléaire rendue largement improbable par le parapluie américain, ne les concerneraient plus jamais : en conséquence, couper drastiquement les moyens de défense,
- Croire que leur vision politique (bien imparfaitement assimilée et appliquée, d’ailleurs) de la démocratie et des droits de l’Homme devait et allait s’imposer « worldwide », et sans coup férir, sous le simple poids de l’évidence,
- Croire que l’installation complète du modèle politique américain, présent en filigrane dès l’origine, était hautement souhaitable en Europe, et à portée de main,
- Croire qu’il ne restait, tout le reste étant acquis, qu’à pousser toujours plus loin, toujours plus strictement, l’Etat de Droit et les normes de toutes sortes, les ériger en alpha et oméga, en dogme insurpassable de la gouvernance de 450 millions d’humains, bien trop nombreux pour mériter autre chose qu’une mousseuse démocratie d’apparence.
En conséquence, dans cette période nous verrons apparaître les concepts fumeux de « dividendes de la paix » (à toucher perpétuellement, sans doute), le « droit d’ingérence humanitaire » (quelle autorité suprême nous l’avait donc attribué, et chargés de l’exercer pour le bonheur de l’espèce humaine ?),
Au nom de ce « droit », nous avons toisé et tancé tous les pays non occidentaux à l’aune des Droits de l’Homme. Nous sommes intervenus, militairement ou non, pour corriger les situations selon nous les plus déviantes, dans la mesure de nos moyens (Irak, Syrie, …. mais la Chine, quand même pas). Comment avons-nous pu croire un instant que cet angélisme bien-pensant serait un levier efficace au service de notre géostratégie toujours aussi péniblement vagissante ?
Symétriquement à ce durcissement dogmatique de plus en plus sublimé et asséné à l’extérieur, notre corps social s’est délité : oubli voire rejet de l’Histoire, de la langue, des valeurs partagées ; sapement de l’autorité et de la légitimité, installation d’un relativisme universel (toujours plus fort !) s’appuyant sur l’individualisme exalté jusqu’au paroxysme, et la diversité qui, comme la mondialisation, est nécessairement heureuse.
A ces populations dépossédées de leur bien immatériel le plus essentiel, on va imposer un assistanat financé sur le dos des générations futures (tout comme les morts, les fœtus ne votent pas).
On va leur imposer l’intrusion massive de populations de civilisations étrangères éloignées, certaines porteuses d’une religion hégémonique clairement incompatible avec l’aboutissement culturel occidental , sans jamais demander ni leur accord, ni les conditions qu’ils y poseraient : quel mépris !
A ces populations déboussolées, désormais sans passé ni avenir choisi, que reste-t-il ?
S’étourdir dans les plaisirs de l’hédonisme de court terme, dont l’accumulation est présentée comme la nouvelle définition du bonheur.
S’adonner aux drogues (consommateurs et dealers) pour « tenir le coup » et oublier l’inanité de cette vie pour les uns, s’enrichir rapidement pour les autres, fût-ce au prix de morts et de quartiers ravagés.
Arrêter de faire des enfants, comme ultime appel au secours, entre perte d’espoir et d’estime de soi.
Notre économie elle aussi s’est affaiblie : nous externalisons vers les pays à main-d’œuvre bon marché la fonction de production, croyant avec suffisance que nous garderions éternellement l’essentiel de la valeur ajoutée, en nous réservant l’innovation et la conception, alors qu’ainsi nous nous coupions de leurs sources mêmes, le produit et le marché.
En cette affaire, la fausse certitude donnée par des indicateurs inadéquats, l’ignorance ou la mésestimation des fondamentaux de l’apprentissage humain, furent bénies ou même « sanctifiées » par l’écologie dogmatique : l’usine, c’est sale, ça abrutit, ça pollue, alors, hors de notre vue ! Les usines sont donc parties, avec probablement certains savoir-faire du moment, et beaucoup plus certainement tous ceux de demain.
Quant à notre démocratie, elle est largement vidée de sa substance : les lois et les politiques publiques se décident désormais hors du contrôle et même des besoins des citoyens, établies et appliquées par une administration de clercs imbue de ses prérogatives, au service de ses seules convictions ou de celles des lobbies qui la courtisent. Parallèlement à la signature du traité de Maastricht, les directives européennes, les jurisprudences de la CEDH, prolifèrent dans tous les domaines. La suprématie fallacieuse du totem de l’Etat de Droit bafoue la légitimité fondamentale du peuple, exprimée à travers ses représentants et son gouvernement démocratiquement formés. Parce qu’en démocratie c’est le peuple qui est souverain, lui seul est fondé à faire et défaire ce qu’il a décidé de mettre dans la loi.
Pendant ces 40 ou 50 ans d’installation de cette pétaudière glauque, notamment en Europe, que s’est-il passé dans le monde ?
- Le retour des Empires :
Non seulement la doctrine des Droits de l’Homme et de la démocratie ne s’est pas répandue comme une traînée de poudre, en balayant ceux que nous considérions comme des tyranneaux pourtant souvent alliés de l’Occident, mais les échecs se sont multipliés : divine surprise vite démentie des printemps arabes, échecs cuisants en Irak, Lybie, Afghanistan et Syrie, par exemple.
Pire encore, des nations qu’on croyait acquises ou presque à la cause démocratique, se sont souvenues de leurs passés d’Empires conquérants. Avec à leur tête des dirigeants autocrates ou chefs religieux, elles ont sanctuarisé le temps long nécessaire pour tenter de leur redonner vie : l’Iran et l’Empire perse, la Turquie et l’Empire ottoman, la Russie et l’Empire soviétique, … et la Chine de l’Empire du Milieu, la plus en réussite jusqu’à présent.
Il en résulte une augmentation des tensions territoriales ou des conflits hybrides non sans succès de ces autocraties d’ailleurs, tant cette forme de gouvernance a montré son efficacité au cours de la longue histoire humaine.
- La montée en puissance des flux démographiques

Les cartes de l’INED sont très claires : dans les 25 ans qui viennent, l’Europe se dépeuple tandis que le continent africain double sa population. Une population qui sera jeune, n’ayant rien à perdre et assoiffée d’une vie d’abondance qu’elle voit s’afficher chez cette Europe riche, et ouverte à tous les vents. Qui la retiendra d’immigrer massivement ?
Ce qui va se passer ? Ce n’est pas très compliqué à imaginer.
Risquons une métaphore : devant ce tsunami démographique, le sous-marin européen est en pleine opération portes ouvertes. il l’enverra par le fond….
- Le décollage de l’islam de conquête
L’islam est un cas à part des religions monothéistes : bien plus qu’une foi, il est un mode de vie, une civilisation, un système politique et juridique intégrés.
Bien plus qu’aucune autre religion, l’islam demande à ses fidèles d’être conquérants, d’abord par l’exhortation, puis par la violence en cas d’échec, pour le salut même de l’incroyant.
A ce fait fondamental est venu s’agréger un élément nouveau : les flux d’immigration du Sud, qui ont opportunément, massivement et soudainement installé en Europe des populations de foi musulmane.
Même si elles n’écoutent pas tous les extrémismes qui les travaillent, ces populations venues là plus par intérêt économique que par amour de notre mode de vie, cherchent à imposer certains de leurs éléments sociétaux (nourriture hallal, lieux de prière, voile des femmes, charia, …) opposés à ceux de l’Occident.
Ainsi, aux actions délibérément terroristes commises depuis longtemps, est venu s’ajouter un entrisme à bas bruit, déterminé, infatigable, sans tabou ni limite : sport, politique, école, enseignement supérieur,….
- La résilience des Etats-Unis, néanmoins
On aurait pu s’attendre à ce que les Etats-Unis, comme l’Europe, s’avachiraient sous les mêmes maux et prêteraient le flanc aux mêmes attaques : même s’ils furent souvent en pointe sur les angélismes dogmatiques évoqués plus haut, ils se décomposèrent beaucoup moins.
La cause ? Peut-être tout simplement la nécessité de rester vigilant et pragmatique quand on est la 1ère puissance économique et militaire du monde, ayant à faire face sans relâche à tous les dangers dont ils protègent les autres….
Bien évidemment, la deuxième Présidence de Trump ne fait qu’aviver le contraste.
Que peut évoquer cette situation, lentement mais implacablement construite sous nos yeux ? Vers quelle fin nous entraîne-t-elle ?
Celle décrite en 1895 dans « la Machine à explorer le temps », œuvre de H.G. Wells.
Dans ce livre, il fait arriver son héros dans le monde d’un futur très éloigné. Ce monde, peuplé des « Eloïs », beaux, gentils voire simplets, allant et venant insouciants et oisifs, ressemble au Paradis terrestre.
Paradis, pas tout à fait cependant. La nuit venant, une autre population souterraine, les Morlocks, surgit et vient dévorer quelques Eloïs à leur portée. Ces Morlocks, cruels et laborieux, sont les véritables maîtres de ce monde.
Les Eloïs ne sont qu’un bétail à l’élevage.
Et le brutal changement d’attitude des Etats-Unis dans le monde, le questionnement de ses alliances les plus constantes, l’incapacité avérée de l’Europe à exister dans le conflit russo-ukrainien, nous jettent à la face cette réalité : nous sommes devenus les Eloïs du monde.
Sporadiquement, certains d’entre nous disparaissent : agriculteurs, industries, commerces, professeurs, simples citoyens, israélites, tombent assassinés, victimes des Empires, de l’islam conquérant, de la démographie mondiale, aidés de quelques traîtres Eloïs ou d’anciens alliés devenus Morlocks. Notre survie provisoire ne tient qu’à la protection aveugle de l’aléa et du nombre.
Devant cette situation, hébétés, sans mémoire et jolis, que faisons-nous ? Que font nos dirigeants et nos élites ? Que fait la démocratie, système dont nous nous réclamons, soi-disant à nul autre pareil ?
Rien, ou si peu.
Les dirigeants médiatico-judiciaro-politiques ? Le déni est toujours là. Malgré ses échecs à répétition, la chimère de l’Europe Puissance est toujours la ligne d’horizon officielle. Les attaques de l’intérieur sont minimisées. Les questions démographiques, jamais évoquées. Les principes des Droits de l’Homme sont toujours autant brandis, en exorcisme sans effet contre le viol des frontières ou les attaques hybrides. Y croient-ils seulement ? Agissent-ils ainsi par simple conformisme, paresse intellectuelle, cynisme ?
Les populations ? Elles n’y croient plus, s’enfoncent dans un état de fatalisme ambiant, un peu léthargique. Certaines acceptent déjà le déclin ou la disparition, d’autres tentent de se sauver individuellement quand elles le peuvent.
Et entre les deux ? Aucune sincérité, aucun courage, aucune confiance. Peuple et élites ne partagent plus de destin. Les institutions, elles-mêmes agressées et mal défendues, brinqueballent à vide.
Rien à la hauteur du danger létal qui nous menace. Rien qui nous permette d’espérer le conjurer.
Et après tout, les civilisations ne sont-elles pas mortelles ? Alors, pourquoi pas la nôtre ?
Bien sûr, les conditions de vie n’ont pas dramatiquement changé : le niveau de vie ne s’est encore pas massivement effondré, il n’y a encore pas d’armées attaquant massivement nos territoires.
Mais tout peut s’accélérer très vite. Et nous nous découvrons faibles, érodés…et beaucoup plus grave, devenus sans réaction, tout instinct de survie disparu.
Pouvons-nous nous en sortir ? Regagner notre indépendance et notre liberté, notre génie et notre place dans le monde ?
Très probablement pas.
Daniel Rigaud
Alors, on se réveille, les Eloïs? (2ème partie) : à paraître , semaine prochaine