Peu à peu, avec des gestes lents et maladroits d’accidentée, la France sort de cette période, ou première période, de pandémie.
Car il s’agit bien de cela : le pays, avec son économie, son élan, et peut-être même son art de vivre, a été envoyé au fossé du confinement, par le violent coup de volant d’un gouvernement saisi de frayeur devant cette insuffisance de préparation dont nous connaîtrons, bientôt peut-être, ex-post, toute l’étendue.
Bien sûr, il n’a pas été le seul à agir ainsi, à copier la réaction du premier pays touché. Pays qui se trouve aussi, et à la fois, être l’un des plus totalitaires de notre époque, et prétendant au leadership mondial.
Aurions-nous connu ce confinement-là, si le pays imité n’avait pas été cette Chine-là ?
Le carambolage du COVID, ou plutôt des réactions au COVID, a donc touché les cinq continents. Beaucoup de pays n’ont pas encore fini leur course dans le fossé, certains se relèvent à peine. La dimension mondiale de l’épisode est une évidence.
Mais comment diable avons-nous « réussi » à rendre mondial et systémique un si petit sujet de santé publique ?
Par la concomitance de trois facteurs toxiques pour notre espèce humaine :
- Le conformisme contagieux de pensée et d’attitude des dirigeants mondiaux,
- Le quasi-monopole de l’économie dans l’architecture et le fonctionnement des échanges internationaux,
- L’appel excessif à l’émotion et au temps court dans le business model médiatique
Nous aurons l’occasion d’y revenir ailleurs et plus tard.
Alors, dans quel état sommes-nous, en France ?
Avec nombre de meurtrissures et de plaies, certainement.
Peut-être aussi avec d’autres dommages, encore cachés : hémorragies internes, fractures, pertes de sensibilité, paralysies partielles peut-être de notre corps de Nation. En montant en régime, la reprise de l’activité nous les révèlera.
Mais les dégâts actuels et à venir ne sont pas qu’économiques ou sociaux. Peut-être même ne sont-ils pas les plus importants, les plus déterminants pour les années qui viennent.
L’atteinte qui semble la plus décisive semble celle du psychisme collectif.
Précisons tout de suite : il ne s’agit pas là du classique trauma post accident, requérant d’urgence un soutien psychologique tarifé. En sortie de confinement, on pourrait s’y tromper, mais le mal est plus profond.
Il s’agit d’une attitude naissante, mais qui semble s’étendre et s’installer. Restée jusqu’à présent latente, les événements COVID la cristallisent sous nos yeux.
Cette attitude, c’est la distanciation.
Pas la distanciation sanitaire, non. Encore que celle-ci, par son rituel, en est devenue une forme symptomatique.
Mais une distanciation structurelle, matérielle, pérenne. Une distanciation à la réalité.
Nous vivions déjà une forme extrême d’individualisme, bâtie sur les ruines des idéologies, le goût du plaisir et de la consommation, la célébration de soi, alpha et oméga de nos motivations.
Mais il restait encore quelques concrétions sociétales fortes, prodiguant des rappels parfois rugueux. L’école. Le travail. Le budget familial à tenir. Et au-dessus de tout cela, l’Etat, tentant de maintenir l’existence d’un collectif par toutes sortes de moyens-repères (lois, règlements, justice et police, …. même gloriole sportive, à défaut d’idéal et de projet de Nation). L’Etat, tentant d’être lui-même exemplaire dans sa mission spécifique : l’intelligence et la recherche permanentes de l’intérêt général, au-dessus des bouillonnements individuels et irréfléchis, réputés être la forme la plus accomplie du bonheur.
Du fait de cette mission unique, l’Etat est censé savoir. Censé prévoir, organiser, appliquer, contrôler. Il est sur ces sujets destinataire d’une délégation à rebours, excessive mais sincère, de la part de la masse citoyenne. Elle lui en donne tous les moyens humains et financiers : la crème de nos élites, nos experts les plus galonnés, hantent ses couloirs et peuplent les Cabinets de ses Ministres. La Nation lui fait confiance pour faire face à tout, et se considère ainsi dispensée de s’occuper de l’intérêt général. Cahin-caha, en temps d’une paix payée par de nombreux et insensibles renoncements, le système semble en équilibre et fonctionner.
Et patatras, la circonstance COVID se produit. Et sous le choc, la fiction confortable de l’Etat protecteur s’effondre.
l’Etat réagit comme une midinette. Proclame l’état de guerre sans rime ni raison. Se drape dans une attitude humaniste théâtrale. Dissimule la réalité de l’impréparation. Parle et contre-parle avec assurance. Met en scène des mesures d’évacuation absurdes mais spectaculaires, avec sirènes et tenues camouflées, tout en brandissant des règlements de « temps de paix », interdisant l’appel aux hôpitaux privés et laboratoires voisins. Confine brutalement, et sans discernement. Orchestre la peur pour ménager ses moyens de contrôle. Libère des torrents financiers de mesures anesthésiantes, par paquets de dizaines de milliards, dont on remboursera la note dans un « plus tard » hypothétique.
Le pire, et l’argent du pire.
Bref, se révèle incapable de « switcher » du mode gestion au mode crise, avec sa vraie humilité (ce qui n’a pas été fait, n’a pas été fait) et sa détermination rageuse à enrayer quand même la pandémie, et sans pour autant oublier en route la moitié économique de l’énoncé.
Premier effondrement considérable , celui de la crédibilité de l’Etat, et de son appareil. La France ne croit plus depuis longtemps en sa classe politique, mais elle la distingue de l’appareil d’Etat. Derrière celui-ci, la France se croyait à l’abri. Devant le COVID, elle découvre qu’elle est exposée, prise à revers. Sa coûteuse ligne Maginot d’aujourd’hui est aussi bêtement tournée que celle de 1940.
Deuxième effondrement, celui de la crédibilité de la science et de la médecine. Pas toute : ni celle de ville, ni l’hospitalière. Mais celle de la nomenklatura de la santé, responsable d’une considérable ombre portée sur toute la profession. La France stupéfaite a découvert une armée mexicaine de professeurs, infectiologues, virologues,… suffisamment peu occupés apparemment pour venir abondamment pontifier sur les plateaux, alors que l’urgence était partout. Elle a découvert leurs querelles, leurs ego, leurs idéologies, et leurs contradictions disant suffisamment leur degré d’ignorance d’une pandémie qui se révélait journée après journée.
Ce n’est pas leur ignorance qui a choqué. Tout le monde accepte l’idée que la science, qui a déjà tant apporté, n’ait pas toutes les réponses. Qu’elle progresse pas à pas.
Ce qui a choqué, c’est de constater combien la recherche scientifique de la vérité pesait peu dans leur comportement. Combien les querelles de personnes, les intérêts financiers, la défense de prérogatives le déterminaient bien davantage. Combien ils étaient sensibles aux vanités médiatiques, dont ils adoptaient les codes sensationnalistes, au point de perdre de vue l’exigence scientifique de leurs propos, et a fortiori l’effet ravageur qu’ils produisaient sur le public. Combien leurs doctrines leur faisaient perdre tout sens des réalités dans les mesures promulguées pour chaque déconfinement sectoriel. Le protocole de 53 pages pour les écoles restera le monument élevé à la gloire de tous ces Diafoirus.
Cela peut sembler paradoxal, mais plus notre monde est superficiel et matérialiste, plus nous avons besoin de croire que certains obéissent encore aux plus nobles motivations : recherche de la Vérité, amour du prochain, sacerdoce du métier. Les professionnels de santé en faisaient partie.
Nous idéalisions. Nous n’avons souvent vu que des marchands du Temple.
Il y a eu d’autres effondrements.
Celui d’une Ecole sans conviction à défendre sur sa mission propre : l’éducation des enfants. A aucun moment, on a entendu sa voix sur les conséquences pour tous d’une rupture scolaire, d’un arrêt de socialisation, à mettre en balance avec de supposés risques sanitaires courus par une infime minorité. Où étaient passés capacité critique, faculté à penser par soi-même, prise de hauteur, potentiel d’initiative et de proposition, pourtant au cœur de leur métier d’éducation ? Seule a semblé subsister ce qu’on demande en maternelle aux tout-petits : l’application des consignes. La hantise d’être pris en défaut d’application de directives inapplicables. Au point parfois d’écrire aux parents de ne pas renvoyer leurs enfants en classe, un vrai déni de leur métier.
Et d’autres effondrements encore.
La Poste, que les employés désertent avec l’accord de leurs managers.
La justice à l’arrêt, des milliers de détenus libérés pour urgence sanitaire.
Mais aussi une partie des entreprises B to B, renvoyant tous les salariés possibles chez eux en télétravail, mettant ainsi à zéro la valeur sociale du travail. Le message : vous n’êtes qu’une force de travail inter médiée par un écran.
Mais aussi une partie des activités B to C, fermant ses magasins à ses clients ou leur créant des conditions inconfortables d’accès, pour ne plus avoir directement affaire à eux. Le message : vous n’êtes qu’un potentiel d’achat inter médié par un écran.
Se produisant sur un terrain déjà largement gagné à l’individualisme, tous ces effondrements effacent nos dernières représentations du collectif. Les interdits disparaissent, les éléments communs de langage aussi.
La distanciation généralisée s’installe.
Distanciation entre individus d’abord. Vis-à-vis du COVID notamment, où suivant ses opinions, voire ses représentations fantasmatiques personnelles, on n’appliquera aucune précaution sanitaire, ou on ne sortira que masqué, ganté, avec des lunettes de soleil et couvert de gel hydroalcolique. Combien de temps avant que ne se structurent (et s’opposent) des communautés sanitaires ? De premières scènes d’émeutes contre des confinements locaux ont déjà eu lieu aux Etats Unis et en Italie….
Distanciation avec les institutions. La reprise obligatoire et générale des écoles et collèges est annoncée par l’Education Nationale, et des parents font tranquillement savoir qu’ils n’enverront pas leurs enfants. Le gouvernement interdit les rassemblements de plus de 10 personnes, pourtant des milliers manifestent. Dans tous ces cas, l’impunité est là.
Distanciation avec le sens des mots, l’exigence des résultats. Les reprises d’activité sont claironnées, mais dans la réalité leur niveau atteint moins de la moitié de ce qu’il devrait ; les subsides publics maintiennent seuls cette fiction de normalité. Le gouvernement annonce des conditions (maintien de l’emploi, empreinte écologique,….) pour accéder aux mesures de soutien, elles sont contournées à la première occasion. Quant à l’ardoise financière qui monte vertigineusement pour les générations futures, elle ne semble avoir qu’une évanescente réalité.
Cette distanciation universelle annonce la fin d’une appartenance collective. Aujourd’hui déjà, le fonctionnement démocratique ne concerne plus 60% des citoyens. La tempête de la dernière élection présidentielle a emporté tous les partis, mais le nouveau monde est aussi décevant, peut-être définitivement, parce qu’il racle le fond de tiroir des manipulations d’opinion : le sort fait aux productions du Grand Débat est déjà édifiant, celui des propositions citoyennes pour le climat le sera probablement autant.
Dès lors, qui empêchera certains de considérer qu’il peut se faire « justice » lui-même, manipuler et contraindre selon ses moyens violents et son « système de valeur », en monarque absolu de son territoire tchétchène, racialiste, islamiste ? Pendant que d’autres, apeurés, résignés, raseront les murs?
Nous sommes une République et une Nation en danger de mort.
Daniel Rigaud