« Encore un moment, Monsieur le bourreau »
Dans cette phrase de Madame du Barry au pied de la guillotine, toute l’exquise politesse de l’Ancien Régime, qui veut encore vivre. Touchant attachement à une vie privilégiée, déjà happée par le trou noir de l’Histoire. Mais aussi reconnaissance du nouveau pouvoir, reconnaissance que rien, pas même une minute, n’échappe désormais à son emprise.
En France, en sommes-nous là ? Un monde est-il en train de s’effondrer sous nos yeux, inexorablement ?
On peut lister les raisons de se rassurer, de croire à un accès de fièvre sociale, comme notre pays en connait régulièrement :
- D’abord, les gilets jaunes, puisqu’il s’agit d’eux, ne sont pas très nombreux : 136 000 dans toute la France ce dernier weekend, loin de la Manif pour tous de 2013, ignorée sans inconvénient par le pouvoir en place ; de plus, à en croire l’Intérieur, ce nombre est en diminution, weekend après weekend,
- Les forces de l’ordre donnent l’impression d’avoir la situation bien en main : pas seulement dans la protection des vitrines, des voitures en stationnement ou des lieux de pouvoir ; mais surtout dans la maîtrise des images, que ce soit pour éviter toute victimisation potentielle (matraquages massifs, blessures graves, décès,….), ou au contraire pouvoir stigmatiser des dégradations, cantonnées au spectaculaire acceptable
- Les gilets jaunes sont confus dans leurs revendications, non structurés, en proie à de premiers conflits d’ego, ingrédients conduisant classiquement à sorties de conflit décevantes,
- Les « convergences des luttes » pour l’instant ne prennent pas, que ce soit avec les lycéens, les routiers, …. et ni cheminots, ni personnels de santé à l’horizon.
On peut aussi se dire que les erreurs commises ont été comprises et ne se reproduiront pas.
Qu’on abandonnera l’arrogance, due moins à un mépris de classe (France d’en haut contre France d’en bas, France des métropoles contre France péri-urbaine, France mondialisée contre France des terroirs,….) qu’à un excès de certitudes, sur le fond ou la manière de conduire les affaires :
- Priorité accordée au tout économique, dans une vision mécanique du fonctionnement d’une Nation : attirons les investisseurs par des mesures fiscales, ils créeront des emplois qui résorberont le chômage, allégeront les dépenses sociales, la pression fiscale, et relanceront l’économie par la consommation,
- Oubli du respect et de la compréhension de sa situation auxquels chacun a droit, sans considération de son état de fortune ou de talent,
- Fermeté, pour ne pas dire intransigeance, sur les demandes initiales (modestes) des gilets jaunes, sans s’être assuré auparavant d’avoir les moyens (et la volonté) d’affronter un conflit et surtout de le gagner,
- Utilisation didactique de manœuvres dilatoires, supposées calmer le jeu : réunions de dialogue qui n’en sont pas, lancement d’une multiplication de débats non structurés, demi-mesures à application diluée et limitées dans le temps, communication massive d’intimidation ou de culpabilisation par médias interposés,
- Désordre dans la décision au plus haut niveau, en s’apercevant que ces techniques ne marchent plus, que la sympathie des Français pour le mouvement ne faiblit pas, qu’il n’y a pas de « plan B », et qu’il manque même la notice, les concepts pour le construire….
- Cession sans contrepartie devant la pression, ce qui ne fait qu’augmenter la confiance en eux des manifestants, et les fonder à croire qu’ils peuvent tout obtenir,
Réussir à éviter de reproduire ces erreurs-là sera déjà un défi pour le gouvernement et le Président, qui doivent apprendre vite, et beaucoup, depuis un mois. Dans la compréhension de la situation et l’élaboration des solutions pertinentes, ils ont beaucoup de retard.
Mais supposons qu’ils y arrivent. Sera-ce suffisant pour reprendre le contrôle?
Bien sûr que non.
En période d’effervescence sociétale, les Français n’attendent pas un négociateur-pacificateur tiède, même s’ils apprécient ce qu’ils auront gagné dans les négociations.
Ils attendent quelqu’un qui les scotche au plafond.
Qui les emporte dans une vision dépassant leurs intérêts personnels, tout en y répondant à un niveau supérieur qu’ils n’avaient jamais conçu.
Qui légitime leurs colères, mais surtout les fédère dans une nouvelle énergie collective.
Et cela arrive à une double condition : que la situation soit comprise au plus profond, et que l’audace du Président soit sans limite.
Comprendre la situation ?
- Comprendre qu’en France nous avons, depuis trop de siècles, de redoutables idées fausses :
- celle d’un Etat-Providence qui protège ses citoyens de la sauvagerie (réelle) de l’économie par des mesures (fallacieuses) d’assistance,
- celle d’une défiance généralisée envers l’autre qui justifie mille procédures, contrôles, tracasseries, …. et l’administration qui va avec,
- celle de la supériorité de quelques intelligences sur la décision collective pour trouver des solutions, qui conduit à tous les centralismes et tous les clivages,
- Comprendre que nous vivons au niveau mondial la fin d’un système de prédation sans issue. D’un système de financiarisation insensée de l’économie, établissant des comportements aberrants, desséchant les rapports humains, piétinant nos patrimoines culturels, obérant notre progression d’espèce et menaçant notre planète même.
- Comprendre que nous avons maintenant les moyens, la maturité, l’urgence aussi, d’accoucher de ce nouveau monde.
Avoir une audace sans limite ?
- Oser, quand on est un jeune Président brillant, combatif, sûr de soi, oser se remettre en cause, oser changer de logiciel. Celui-là même qui l’a fait réussir, contre le vieux monde politique.
- Oser aller chercher, en abandonnant ses savoirs, certitudes rationnelles et rassurantes, au plus profond de lui, ce qui l’accorde, en-deçà du dicible, au-delà du visible, à la Nation toute entière, pour soulever une énergie nationale.
- Oser bousculer ses soutiens de la première heure qui ne comprennent ni n’acceptent, pour se servir de ceux qui vont l’aider à installer enfin les bonnes priorités : notre espèce, notre Terre.
Et il faut espérer que le Président, ce soir ou plus tard, endosse ce rôle historique. Réussisse cette exigeante révolution copernicienne personnelle.
Pourquoi ?
La réponse par l’exemple d’un vécu.
Un vécu des manifestations de ce weekend à Paris, par une personne dont c’était, comme beaucoup, la première fois. Loin, bien loin des images de violence des casseurs, ultra-localisées, mais répétées ad nauseam par les média mainstream. Et sans rapport avec le mouvement.
« Mes impressions ? Le silence et la sérénité. Les avenues désertes. La réapparition du Paris éternel, débarrassé de la foule, de son énervement, de ses klaxons, de son trafic stressant et stressé. Des gens qui marchent tranquillement, se sourient, s’entraident. Se découvrent, se retrouvent, débarrassés de leurs préjugés, leurs égoïsmes, leurs solitudes. Libres, joyeux, et ensemble. Enfin, je respirais.»
Le silence des peuples est la leçon des rois, disait Mirabeau.
Quand ils ne la retiennent pas, la respiration des peuples devient leur ouragan.
Daniel Rigaud
Merci Daniel . Tes analyses sont toujours aussi intéressantes. Et maintenant, « what can WE do for our country? “
Lire le Quatrième Royaume, Chris? 😉
Daniel