Dans moins d’un an, se présentent les élections européennes.
Les manœuvres, qu’on a du mal à qualifier de grandes, ont commencé dans les appareils politiques en France, les uns y voyant la promesse de leur renaissance après le chamboule-tout de la dernière élection présidentielle, les autres l’occasion de marginaliser leurs opposants, internes ou externes à leur parti.
Business as usual, alors ?
ll semble bien, d’autant plus que les nouvelles règles d’élection éloignent un peu plus encore l’élu européen de son électeur. On sera élu par sa place sur la liste de candidats établie par son parti, et sur les résultats de l’empoignade médiatique des têtes de liste dans l’esprit des électeurs, si toutefois ils y prêtent attention.
Car rappelons qu’en France les taux de participation aux européennes sont les pires de toutes les élections, et qu’en Europe ils ont baissé, élection après élection, de 20 points en 40 ans.
Quelles que soient les idées qu’on peut avoir sur l’Europe, il n’y a pas de quoi se réjouir. Parce que l’état de l’Europe, nous Européens en sommes responsables, plus responsables en tout cas que n’importe qui.
Lorsqu’ils nous parlent de l’Europe, nos dirigeants ressemblent parfois à ces parents de cancre le défendant au conseil de classe : certes, ses résultats n’ont pas été brillants, mais il va donner un coup de collier au prochain trimestre, vous allez voir !
Mais les trimestres passent, rien ne change. Le conseil de classe des électeurs européens s’impatiente ou se désintéresse, le prof d’anglais a même claqué la porte.
En attendant, les notes en-dessous de la moyenne s’accumulent. On a admis des pays en Europe sans vérifier sérieusement qu’ils remplissaient les critères. On a laissé certains membres développer des politiques fiscales et sociales agressives, tout en ouvrant les frontières à la libre circulation des personnes et des biens. On a laissé des paradis fiscaux perdurer au cœur même de certains pays européens majeurs, ou fondateurs. On passe des traités d’échange commerciaux portant sur des produits ne respectant pas nos propres règles européennes, tout en renonçant d’avance à exercer notre souveraineté nationale en cas de conflit. On signe Schengen, on abat sans délai les frontières nationales sans avoir établi, ou simplement défini, des frontières européennes efficaces. Tout cela, en utilisant le laborieux consensus, cette parodie piteuse de la décision stratégique.
Si la construction européenne laisse à désirer, que dire de son action extérieure ? Tout évènement inattendu la trouve incapable d’en faire une analyse commune, fixer un cap, mettre en œuvre un plan.
Voyez les Balkans, l’Ukraine, le Moyen Orient ou l’immigration, qui ont concerné ou concernent directement l’Europe. A chaque fois les discussions s’enlisent, les opinions et les intérêts divergent, et les interventions, quand il y en a, finissent par être le fait de certains membres, dans le plus grand désordre.
Pourtant, n’était-ce pas là l’argument principal pour justifier la construction de l’Europe : le moyen de peser dans les décisions du monde, à 250 millions ? Pour défendre nos valeurs, notre culture commune ?
Force est de constater que 60 ou 70 ans après sa fondation, l’Europe en est toujours incapable.
Force est de constater que la parole d’un de Gaulle, à la tête de la seule nation française, a pesé infiniment plus dans le monde que celle de n’importe quel Juncker ne le fera jamais.
Pire encore : elle s’éloigne de cet objectif. De plus en plus, les pays majeurs de l’Europe sont dirigés par des coalitions improbables, foyers de vives tensions au sein même des gouvernements : Allemagne, Italie, Espagne. Plusieurs autres ont à leur tête des gouvernements vent debout contre certaines dispositions juridiques ou sociétales européennes.
Mais pourquoi l’Europe fonctionne-t-elle si mal ?
Pourquoi les signaux très clairs envoyés par les peuples sont-ils, élection après élection, ignorés des dirigeants européens ?
Pourquoi les citoyens qui se sont démocratiquement exprimés, sont-ils traités avec condescendance de populistes ?
Pourquoi peut-on être certain d’avance que le mini-sommet européen d’aujourd’hui sur l’immigration ne débouchera sur rien d’applicable ?
Pourquoi les initiatives de relance de l’Europe promises par le Président Macron, se brisent les unes après les autres contre un mur d’indifférence polie ?
Comme toujours, il nous faut remonter aux origines. A l’ADN initial embarqué, à la création de l’Europe que nous connaissons.
L’Europe est née comme un supplétif de ses nations fondatrices. Quelque chose d’un peu subalterne confié à des technocrates neutres, pour améliorer l’intendance.
Une version moderne des clercs du Moyen-Age, dont le travail administratif a tant fait pour établir le pouvoir des rois. Mais avec une différence de taille : il n’y avait pas de roi, c’est-à-dire pas de projet politique, dans cette Europe naissante.
Néanmoins les choses ont avancé, dans la limite de ce que peut obtenir la méthode du consensus. Une forme de valeur s’est attachée à cette idée européenne. De nouvelles nations ont demandé à s’agréger à l’Europe, attirées par cette dynamique qui semblait réussir. L’Europe s’étendait pacifiquement, comme jamais.
Que s’est-il passé alors ? Certains clercs européens, mais aussi certains politiques se sont laissé griser. Griser par des chiffres sans réalité, simple résultat d’additions de comptabilité publique : tant de millions d’Européens, tant de milliards d’€ de PIB.
Ils ont alors conçu, ou en tout cas œuvré pour un projet absurde : construire, entre technocrates une Nation européenne de manière endogène. Cru qu’en rassemblant (toujours par consensus) les attributs d’une Nation (exécutif, parlement, élections, budget, monnaie, droit,… ) , on allait voir se dresser une Europe unie dans le concert des Nations. Un vrai rêve frankensteinien.
Les signes d’impasse étaient pourtant là : l’incapacité à choisir une langue, à créer une défense, à concevoir une économie et une industrie, à définir et a fortiori conduire une politique extérieure. Et une politique migratoire.
Et peut-être plus significatif encore, être incapable de réagir (et encore moins d’anticiper) à des évènements échappant à cette gestion d’échevin hanséatique : guerre, invasion, agression culturelle ou économique d’autres Nations mondiales.
L’imposture structurelle de l’Europe ? C’est de se poser en instrument de pouvoir, mais en utilisant une approche qui lui interdit d’accéder au sens.
L’impasse est devenue patente. La question migratoire actuelle n’est pas une crise parmi d’autres, qui se résoudra à coups de quota, de sanctions, de centres de rétention, sur fond de concours de belles âmes d’ONG aux motivations parfois bien étranges.
La question migratoire nous renvoie crûment à celle de la méthode de construction de l’Europe. A celles que les peuples veulent vraiment. C’est de là qu’ont procédé les Nations dignes de ce nom, partout dans le monde. L’essence en a précédé l’existence.
On peut penser que l’idée européenne est venue trop tard, sur des réalités nationales trop avancées pour pouvoir se fondre. Il faut alors arrêter de s’obstiner, arrêter cette succession d’échecs de plus en plus pénibles pour les peuples européens, arrêter avant qu’une rupture violente n’intervienne. Garder l’utile, renoncer aux chimères supra-nationales, coopérer en bonne intelligence.
On peut aussi croire que les choses peuvent continuer ainsi, dans le faux semblant général. Postures politiques, atermoiements, impuissances à répétition. Après tout, pour une administration, échouer c’est quand même travailler. Et aux politiques de maquiller les résultats, s’ils le peuvent.
Cette attitude conduit tout droit à une multiplication des actes de désobéissance, au nom de la sauvegarde des intérêts vitaux de chaque pays. Et que fera alors l’administration européenne ? Où sont ses prévôts, ceux qu’envoyaient les rois pour châtier les rebelles ? En quelques années, cette Europe de l’impuissance s’effondrera sur elle-même.
On peut aussi reprendre les choses dans l’ordre. Penser un rôle propre de l’Europe par rapport aux Nations, en proposer une vision claire aux citoyens d’Europe. Bien entendu beaucoup de schémas sont possibles, beaucoup d’itinéraires aussi. Il appartient à des formations politiques européennes de les proposer, aux citoyens de toute l’Europe de choisir ceux qui rencontrent leurs attentes profondes.
Espérons que ces prochaines élections européennes soient ce moment de vérité.
Daniel Rigaud