Il a fallu un peu moins de 200 ans à la France, portée par l’élan de foi du Moyen Age et le talent de ses bâtisseurs, pour construire Notre-Dame de Paris, sublime cantique de pierres et de lumières vibrant dans le ciel de Paris.
Il n’aura fallu que 50 ans à cette même France pour édifier Notre Dame des Landes, ce monstre sociétal boursouflé, dont les pervers enchevêtrements feraient passer le style de la cathédrale de la Sagrada Familia pour une quintessence de design suédois.
On est comme ça en France : toujours prêts à faire mieux dans l’improbable, battre les records que personne ne nous dispute, même si on ne sait pas toujours où on va !
Même si l’ouvrage nantais est encore inachevé comme son homologue barcelonais, la (vraie) décision que vient de prendre le gouvernement marque incontestablement la fin d’une phase, un peu comme si on venait de terminer la nef.
Avant d’assister à la construction du transept, (la mise en œuvre de tout ce qui a été annoncé par le Premier Ministre), attardons-nous quelques instants sur ce que ces cinq décennies, la décision gouvernementale elle-même, nous apprennent sur notre Nation et son fonctionnement.
Nous n’allons pas pour autant arguer sur le fond de la décision : tout a été dit, ce n’est plus le sujet. Et la décision, quelle que soit la qualité et la longueur de l’analyse qui l’a précédée et éclairée, reste un pari personnel du dirigeant, à la pertinence jamais totalement démontrable. L’Histoire, un jour peut-être, rendra un verdict, mais qui ne changera plus rien.
Que nous enseigne donc cette séquence de 50 ans de ce projet sur nous-mêmes ?
La loi n’est plus une évidence absolue pour nos concitoyens
En démocratie, la loi n’est pas l’expression autoritaire d’une volonté tyrannique, mais la définition de règles qu’une Nation se donne à elle-même pour vivre en paix et en harmonie ; c’est assez dire l’importance de son rôle dans la cohésion nationale.
Pour son élaboration on collecte les cas de figure, on fait travailler les meilleurs spécialistes juridiques, on sollicite la représentation nationale. Des mois de travail, pour des compétences de haut niveau, passés à essayer de tout prendre en compte dans l’écriture du texte de loi.
Bien entendu elle ne sera ni parfaite, ni éternelle. Les règles démocratiques le prévoient, en établissant la liberté d’expression et d’opinion, et en permettant toutes évolutions par la suite, sur proposition du gouvernement ou de députés de l’Assemblée à l’écoute de leur électorat.
L’immense majorité de nos concitoyens joue le jeu ; mais quelques-uns, du haut de leur jugement personnel qu’ils placent au-dessus de tout, décident tranquillement d’ignorer la loi, s’installer sans titre, entraver le droit à la libre circulation, frauder le fisc.
C’est déjà grave ; mais ce qui est plus grave, c’est que la majorité silencieuse ne réagit pas à ces transgressions, hausse les épaules d’impuissance et de fatalisme, semble même encourager le David libertaire contre le Goliath légal… alors que c’est notre cadre de vie à tous qui est sournoisement atteint.
Et l’Etat, à qui nous avons délégué la mission de faire respecter la loi si nécessaire par la force publique, pour éviter que chacun se fasse justice, l’Etat tergiverse, calcule, suppute et finalement ne fait rien.
Comme si la loi, finalement, n’était plus qu’une indication, et son application une affaire obscure à régler, ou pire à négocier, entre anarchistes et Administration.
La finalité du projet peut devenir totalement accessoire
Un projet d’aménagement comme celui de Notre Dame des Landes est totalement instancié; sa vision d’ensemble, ses hypothèses, ses prévisions sont nécessairement datées et ont une période de validité. Les recours, qui font partie du projet, doivent s’exercer, avec le délai nécessaire.
Mais que devient le sens même de ces recours dès qu’on sort de la zone de validité des hypothèses du projet, dans ses différentes versions ? De quoi discute-t-on ?
Pour tous les acteurs, soutiens ou opposants, ce devrait un motif d’arrêt et de remise à plat absolu.
En 50 ans de projet, cette situation a dû se présenter plus d’une fois, et faire actionner l’arrêt d’urgence .
Mais non. Les procédures de toute nature se sont enchaînées, se détachant peu à peu de la réalité du projet, devenant hors sol sans que personne ne s’y intéresse, enfermé dans son dogme écologiste, environnemental, ou politique.
Comme si le fond du projet, finalement, avait moins d’importance que l’excitation de l’affrontement d’opinions qu’il initie, l’onirisme planant des batailles de procédures euphorisant une foule de bénévoles parfois à la recherche de causes médiatisables et sans risques…..
L’Etat est impuissant à ce que force reste à la loi sur un territoire de la République de quelques dizaines d’hectares
Heureusement pour nos gouvernants, la majorité des Français est d’une grande indulgence vis-à-vis de leur Etat.
Car enfin, ce rôle de protection revendiqué pour lui par les politiques de tous bords, à toutes les élections, doit-il être prioritairement de nature sociale et solidaire, ou de défense contre des menaces extérieures ? La première protection que doit exercer l’Etat, ne devrait-elle pas être celle des règles établies démocratiquement, des lois construites pour garantir la paix et la justice entre les citoyens ?
Et ce n’est pas du tout rassurant de voir l’Etat, empêtré par des considérants de toutes sortes, désorienté par la diversité des cas de figures, tétanisé par le risque d’ultra-médiatisation d’un incident au cours d’une évacuation de force, être incapable d’oser faire respecter la loi.
Comme si l’Etat oubliait qu’il a en démocratie le monopole de la force publique et que cela lui crée le devoir de s’en servir, rigoureusement, contre ceux qu’il faut bien appeler hors la loi qui font violence quotidiennement à leurs concitoyens.
Les moyens de la force publique sont insuffisants pour les risques qui nous menacent aujourd’hui
Nos dirigeants actuels, comme beaucoup de leurs prédécesseurs, sont intelligents.
La nouveauté, c’est qu’ils s’en servent pour travailler les dossiers, en tirer des décisions qu’ils veulent applicables.
Le Premier Ministre a mesuré tout l’enchevêtrement de la situation de Notre Dame des Landes, l’extrémisme des positions. Contrairement peut-être à ses propres convictions, il a jugé injouable d’ordonner la construction d’un nouvel aéroport quels qu’en soient les attraits.
Même sur les questions régaliennes, s’il rappelle enfin l’illégalité des occupations, il reste très négociateur sur la mise en place.
Alors, nouvelle preuve de l’oubli du fond du projet ? De l’abandon par l’Etat de ses responsabilités fondamentales?
Sans doute, mais pas seulement.
Le Premier Ministre s’est aussi avoué dans l’incapacité de mobiliser quelques milliers de C.R.S. sur ce sujet. La sécurité ordinaire, la menace terroriste, les violences des banlieues saturent les forces de l’ordre actuellement.
Voilà un état de faiblesse très préoccupant pour notre sécurité et notre unité nationales. Et il ne s’agit que de quelques hectares ! Que ferions-nous si un département cherchait à faire sécession de la République, et développer un comportement autarcique avec sa propre monnaie ?
Comme si l’Etat ne bénéficiait pas d’un avantage écrasant en matière de forces armées pour imposer la volonté commune, comme s’il ne pouvait agir qu’en fonction d’un rapport de force physique, réel ou fantasmé.
L’intelligence et le travail, si utiles au jour le jour, dans les situations exceptionnelles ont deux immenses inconvénients : ne produire que des solutions raisonnables, persuader leurs auteurs qu’il n’y en a pas d’autres.
Bien sûr que si il y en a d’autres, à condition de faire appel aux ressorts profonds d’enthousiasme et d’engagement qui sommeillent en nous depuis si longtemps, espérant une vision mobilisatrice.
Emmanuel, Edouard, pour les prochaines cathédrales, pensez-y !
Daniel Rigaud
Bonjour Monsieur Rigaud
A votre demande j’explique la raison de ma déconnexion de la news letter. J’ai eu beaucoup de mal à ne pas lire le post sur Notre Dame des Landes vs Notre Dame comme une collection de propos populistes. Bien sûr la conjecture est légitime et audacieuse ( je blague un peu), mais les références policières et sécuritaires me semblent tellement faciles et désolantes.
Assez large d’esprit j’ai pourtant erré en vain dans ce texte pour y voir autre chose qu’une vindicte. J’ai été choqué et déçu.
Je reste attentif néanmoins car vous m’avez suggéré à raison de rester lecteur sur le site Conjecture 4.0
Bonne continuation
JM Olivier
En réponse à Jean-Marie Olivier.
Bonjour Monsieur Olivier,
Merci de votre commentaire expliquant les raisons de votre désabonnement; si des phrases vous ont choqué et déçu j’en suis personnellement désolé.
J’ai beau me relire, je ne me retrouve pas dans les termes vindicte et populiste que vous utilisez, à propos de ce post.
Mais l’important, au-delà de nos différences de perception, est de pouvoir nous exprimer librement : nous nous retrouvons certainement là-dessus!
A bientôt j’espère, sur Conjecture 4.0!
Daniel Rigaud